Parce qu'en moyenne, une femme sur cinq sera violée au cours de sa vie (contre un homme sur 71), se pencher sur le viol revient à disséquer le rapport aux femmes de notre société, l'évolution des mentalités et la considération qu'on leur accorde. Et bien qu'attendu, le choc demeure violent face aux résultats d'une nouvelle étude menée par la Commission Européenne : pour un quart des Européens, un viol peut être "justifié". Une véritable claque qui rappelle à quel point la culture du viol est vivace et dévastatrice.
A l'occasion d'une étude sur les violences de genre, les chercheurs mandatés par la Commission Européenne ont demandé à 30 000 citoyens de différents pays de l'UE s'ils pensaient que forcer une femme à avoir un rapport sexuel pouvait être légitime dans certaines circonstances. Parmi les critères proposés pour justifier un viol figuraient par exemple le fait que la victime porte une tenue aguicheuse, qu'elle soit ivre, qu'elle ait suivi son agresseur ou encore qu'elle ne se soit pas débattue.
Et les résultats sont accablants : 27% des Européens considèrent ainsi qu'un viol est justifié dans au moins un des cas présentés. En moyenne, un viol est acceptable pour 12% si la victime a bu ou est droguée, pour 11% si elle est rentrée volontairement avec quelqu'un et pour 10% si elle n'a pas dit non clairement ou si elle ne s'est pas débattue.
Les résultats varient géographiquement : on note une plus grande tolérance pour le viol dans les pays d'Europe centrale ou de l'est, comme la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie ou la République Tchèque. Ces pays demeurent fortement attachés à la religion et ont gardé des mentalités plus "traditionnelles" (pour ne pas dire plus sexistes) : résultat, plus de la moitié de la population de ces pays pense qu'un viol peut être justifié. On monte même jusqu'à une effrayante tolérance du viol de la part de 60% de la population en Roumanie...
Dans les pays du Sud, dont la culture très patriarcale est imprégnée de machisme, 30% excusent le viol dans certaines circonstances. Seule exception réjouissante : l'Espagne, qui passe sous la barre minimale des 15%. Sans surprise, ce sont dans les pays du Nord, habituels bons élèves, que la tolérance envers les agressions sexuelles est la plus basse. En Finlande, en Suède et au Danemark, moins de 15% de la population partage la conviction qu'un viol peut être légitime.
La géographie n'explique pas tout cependant : en Belgique, 40% de la population trouve des excuses à une agression sexuelle, tandis que chez leurs voisins direct, les Néerlandais, on tombe à 15%. Il ne faut pas non plus croire que trouver des justifications au viol est un phénomène exclusivement masculin : d'après l'étude, cela touche 27% des hommes... mais aussi 20% des femmes.
Les agressions sexuelles sont des violences à part, parce qu'elles touchent à notre conception de la sexualité et de la sexualisation de la femme par la société. Et pour ces raisons, lorsqu'on parle de viol, les regards se détournent, embarrassés, et les excuses fusent : "Elle l'a bien cherché", "En même temps, faut pas t'étonner, t'as vu comment elle était habillée", "Tu as accepté de rentrer avec lui, tu joues avec le feu, ça reste un homme"... Ainsi, lorsqu'on n'accuse pas les femmes de mentir, on les accuse de l'avoir voulu. Il n'est pas rare d'entendre des justifications qui s'appuient sur la croyance que les hommes ont une sexualité "plus simple" (comprenez : "qu'ils ne peuvent pas contrôler") tandis que les femmes sont coupables d'être "plus complexes" (comprenez : "elles ont besoin qu'un homme leur montre ce qu'elles veulent vraiment, qu'elles y consentent ou non").
Mais à force de baigner dans une culture du viol insidieuse, on y contribue inconsciemment, en critiquant les risques pris par une amie qui met des bas ou en apprenant à sa fille comment elle doit s'habiller pour ne pas se faire agresser. On apprend à détourner le regard de l'agresseur pour mieux pointer du doigt la femme, éternellement coupable de tenter l'homme. Comme le soulignent les auteurs de l'étude dans leur rapport, "Il reste des pays membres de l'Union Européenne où il y a un travail considérable à faire pour modifier les perceptions en matière de violences basées sur le genre, en particulier l'idée que la violence contre les femmes est souvent provoquée par la victime ou que les femmes exagèrent souvent en matière d'abus sexuels ou de viols". Et en effet, il serait temps de cesser de normaliser le viol et de remettre les choses à leur place - en remplaçant les victimes par leurs agresseurs, sur le banc des accusés.