C'est une révolution. Pour la première fois dans l'histoire de la Corée du Sud, un parti aux listes 100 % féminines a candidaté aux élections législatives qui avaient lieu ce 15 avril. Un "Parti des Femmes" donc, déjà soutenu par des milliers d'anonymes qui, au sein du pays, se sentent sous-représentées. Plus encore, le parti se compose de pas moins de 10 000 membres. Une initiative puissante qui faisait face aux opposants traditionnels, du Parti démocratique au Parti du futur uni.
Parti des femmes, oui, mais surtout, parti féministe. Car c'est envers bien des constats sociétaux que s'est constituée en mars dernier cette alternative au pouvoir en place, des inégalités salariales - colossales - aux indignations nationales suscitées par les violences faites aux femmes. Autant le dire, ce parti 100 % féminin fait écho au mouvement #MeToo et à la vague massive de libération des paroles qu'il a suscité.
Ces discriminations qui perdurent, TV5 Monde les synthétise : en Corée du Sud, l'écart des salaires entre hommes et femmes atteint les 34,1%, seuls 3,6% des membres des conseils d'administration sont des femmes (pour 17% concernant le Parlement), et l'Organisation de coopération et de développement économiques place le pays à la 108e place sur 153 en matière d'égalité des sexes - pas le meilleur record donc.
"Il est difficile pour la condition féminine de gagner du terrain dans une société qui dévalue le statut et le travail des femmes depuis des générations", déplore la politologue Linda Hasunuma à TV5 Monde. D'où l'importance de ce parti minoritaire mais actif, lancé à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes le mars, et dont l'une des représentantes, la jeune Kim Ju-hee (25 ans seulement), se définit comme une militante, ayant déjà défilé dans la rue afin de défendre la cause des femmes, et ne souhaitant ni se marier ni avoir d'enfants. Ce n'est évidemment pas la première fois que les principales concernées se soulèvent contre l'oppression.
Des élans fédérateurs de libération de la parole par les victimes de violences sexistes et sexuelles (comme le retentissant témoignage de la magistrate Seo Ji-hyun) aux nombreux mouvements viraux organisés sur les réseaux sociaux (face aux injonctions à la féminité et à la "beauté, du maquillage au corset), les Sud-Coréennes n'hésitent pas à déstabiliser le patriarcat. Ce qui n'est pas sans conséquences hélas : Lee Ji-won, membre du Parti des femmes, affirme que ses camarades ont déjà récolté de nombreuses insultes et menaces de mort. Des agressions qui prennent notamment la forme d'un cyber-harcèlement des plus virulents.
Mais la "féminisation" de la politique en Corée du Sud n'est pas née avec le cyber-activisme. Comme le rappelle TV5 Monde, le premier "parti des Femmes", initié par la ministre Im Young-shin, nous renvoie carrément en 1945. Depuis, bien des soulèvements ont eu lieu au sein de la culture coréenne. C'est pour cela que Kim Ju-hee insiste sur un possible changement de paradigme : "Des milliers de femmes ont rejoint notre parti dès la première semaine. Je crois à l'aspiration des jeunes femmes à vivre dignement". Et à refuser un conservatisme rance qui, quelle que soit la sensibilité politique, ne va que rarement dans le sens des femmes et de leurs droits.
C'est d'ailleurs ce que rappelle le Journal de Montréal : face à ce respect des traditions et bien qu'éclatant, ce féminisme qui persévère a du mal à investir la scène politicienne et, surtout, à réunir un vaste électorat. "Pour beaucoup de femmes, il est difficile de soutenir un parti uniquement parce qu'il défend leur cause", déplore Kwon Soo-hyun, la présidente de l'organisation Solidarité politique des femmes coréennes. Et ce alors que les scandales n'en finissent plus - comme le phénomène de diffusion de vidéos intimes prises à l'insu des étudiantes coréennes. Il n'empêche, ce parti féministe pourrait être l'un des visages du fameux "monde d'après".
C'est le Parti démocratique au pouvoir, dirigé par le président Moon Jae-in, qui a finalement largement remporté ces élections législatives. Mais l'existence même du Parti des femmes est d'ores et déjà une petite révolution dans le pays.