Ça fait des mois que vous vivez selon des règles strictes : celles de la lutte contre la propagation du Covid-19. Pas de rassemblements à plus de six, pas de soirées, pas de bise. Pas de transgression et encore moins de retrouvailles clandestines après le couvre-feu. Vous faites tout pour être irréprochable, et vous l'êtes certainement.
Seulement, vous avez l'impression de faire partie d'une espèce rare. La preuve, il suffit de regarder du côté de vos ami·e·s et des membres de votre famille pour tomber sur un bilan à vos yeux moins reluisant. Les apéros s'enchaînent, le masque est aux abonnés absents, et la distanciation sociale de 2 mètres désormais demandée par le gouvernement, carrément inexistante.
Aussi attachée soyez-vous à ces personnes, ça vous fout les boules et envie de hurler. C'est à cause de leur comportement "irresponsable", lâchez-vous, que vous êtes condamné·e à vivre ainsi de longs mois de plus. Car qu'on se le dise, ça ne vous plaît pas du tout, à vous, de faire gaffe. Vous aussi, vous préféreriez vous enfiler des margaritas pas vraiment réussies en vous tortillant sur Djadja dans le salon de votre meilleure amie.
Vous en avez ras-le-bol de cette situation pourrie qui piétine votre santé mentale comme jamais. Et les coupables, ce sont ces autres. Ces insouciant·e·s autres qui passent leur temps à s'exhiber bras dessus bras dessous, quand ils ne partagent pas les derniers tweets de Nicolas Bedos.
Bref, vous êtes "pandénervé·e". Comprendre que vous êtes en colère, et c'est directement lié à la façon dont autour de vous, on aborde la pandémie. Une rage qui vous fait bouillir, et commence sérieusement à vous nuire. On vous explique comment faire pour décompresser, et aborder la discussion avec autrui.
Avant toute chose, il est essentiel de vous rendre compte que ce que vous ressentez est totalement légitime. Parce qu'il n'y a pas de raison, pensez-vous, qu'ils·elles y échappent et pas vous. "Lorsque vous avez tenu votre part du marché, il est enrageant de voir que les autres ne font pas de même", analyse la psychologue clinicienne Zainab Delawalla dans les colonnes du HuffPost US.
"Ceux qui adoptent un comportement à risque envoient le message que le Covid n'est pas vraiment leur problème, qu'ils ne voient pas de raison de modifier leur comportement pour atténuer les risques", poursuit l'experte. "C'est exaspérant pour des gens qui font des sacrifices depuis près d'un an, et qui le font non seulement pour se protéger, mais aussi pour protéger les autres autour d'eux".
Ensuite, rassurez-vous en réalisant que la colère n'est pas uniquement nocive, elle est aussi une émotion saine et humaine - surtout après une année pareille - à savoir accepter puis transformer. Elle témoigne de la frustration, de la peur, de l'agacement face à un contexte anxiogène sur lequel on n'a aucun contrôle, et où l'incertitude règne.
Afin que ce sentiment ne se manifeste pas en vain cependant, et que nos réactions au manque de prudence de notre entourage plus ou moins lointain ne soient pas contre-productives, l'experte avise de réfléchir avant d'agir. Et d'éviter la critique agressive. "Si votre objectif est d'amener une personne à changer ses habitudes, il est peu probable que le fait de la culpabiliser soit efficace. Cela conduit souvent à une attitude défensive qui peut l'amener à répliquer de plus belle pour 'prouver' que ses actions sont justifiées", détaille la psy.
Plutôt que d'attaquer votre cousine pour son mauvais port du masque, ou votre frère pour sa participation à une rave deux jours avant le repas avec les parents, confiez-leur ce que leur négligence vous fait ressentir. La peur du virus, des complications auxquelles pourraient se retrouver confrontées des personnes vulnérables que vous côtoyez tou·te·s (aka papa-maman), l'impression que vos efforts ne servent à rien, le sentiment d'injustice de les voir n'en faire qu'à leur tête quand vous respectez tout au pied de la lettre.
"La colère est une émotion très motivante - utilisez-la pour effectuer le changement que vous voulez voir", estime auprès du média Zainab Dellawala.
Dans votre esprit, ce sont des égoïstes. C'est la seule explication possible à un tel comportement. Sauf qu'en réalité, ce n'est pas aussi simple. S'il existe bel et bien des inconscient·e·s pour qui faire la fête est plus important que faire attention à son prochain, de nombreux·ses expert·e·s ont aussi fréquemment alerté sur les dégâts psychologiques majeurs de l'isolement pour beaucoup d'entre nous. "30% de la population sera traumatisée par le confinement", nous confiait en outre la psychothérapeute Hélène Romano, en avril dernier.
Parmi les 18-25 ans, 40 % témoignent aujourd'hui d'un trouble anxieux généralisé, non-déclaré avant 2020, 47 % chez les 22-24 ans. 29 % des premiers ont même des pensées suicidaires, révèle Sud Ouest. La faute à une vie en suspens, à une précarité croissante, mais aussi à l'absence d'interactions, de lien social, de contact essentiel au bien-être. "Leurs rassemblements et leurs déplacements ne sont pas forcément synonymes d'absence de souffrance. En fait, cela peut refléter l'ampleur de leurs souffrances", analyse à son tour la thérapeute Abigail Makepeace.
Si votre ressentiment est compréhensible, il demeure aussi indispensable d'engager le dialogue pour débusquer le véritable motif de cette "rébellion". Vous pourriez être surprise, et mieux l'entendre. Sinon, référez-vous au point précédent.
En parlant santé mentale, la vôtre est à ne pas ignorer non plus. Cette colère difficile à apaiser, aussi normale soit-elle, est d'ailleurs un signe flagrant que vous commencez à lâcher la rampe. Qu'il vous faut prendre soin de vous, vous reposer, et vous éloigner de toute source de frustration supplémentaire. A l'instar des réseaux sociaux, qui pullulent de contenus grinçants. Ou de publications qui rappellent le caractère traumatique de la période qu'on est en train de vivre.
A la place, abandonnez-vous aux joies du self-care. En essayant de déconnecter le plus possible d'une vie à l'arrêt, et pourtant terriblement épuisante. Lovez-vous dans votre canapé avec un bon livre, prenez un bain chaud pour les chanceux·ses dont la salle de bain dépasse les 2m², écoutez-vous, faites du pain, sortez faire un tour.
Et surtout, n'hésitez pas une seconde à vous confier, qu'il s'agisse d'un appel catastrophé à un·e ami·e qui saura vous réconforter, ou à un·e professionnel·le de santé. Un réflexe salutaire dans une époque qui - sur ce point, on est tou·te·s d'accord - pue le poisson.