Si le nom d'Emma Sulkowicz est peu connu de ce côté-ci de l'Atlantique, aux Etats-Unis, la jeune femme est devenue l'emblème de l'épidémie de viols qui ravage les campus universitaires. Depuis 2012, cette étudiante en arts visuels de l'université de Columbia accuse son camarade Paul Nungesser de l'avoir violée lors de la rentrée des classes de sa deuxième année. Egalement mis en cause par deux autres jeunes femmes, l'élève a toujours nié, et surtout, il n'a jamais été inquiété par les dirigeants de l'université ou la police locale.
Pour protester contre la façon dont Columbia a géré sa plainte, Emma Sulkowicz a profité de sa thèse de dernière année pour mettre en place un projet artistique baptisé Mattress Performance (Carry That Weight). Durant toute l'année scolaire 2014-2015, elle a ainsi transporté sur son dos un matelas similaire à celui sur lequel elle aurait été agressée sexuellement. Son but : symboliser le poids émotionnel qu'elle porte depuis cette terrible nuit, et surtout, pousser l'université à renvoyer le jeune homme. Mais les mois ont passé, l'agresseur présumé a eu le temps de porter plainte contre Columbia pour le harcèlement qu'il assure subir, et rien n'a changé. Il y a deux jours, Emma Sulkowicz et Paul Nungesser ont finalement été diplômés ensemble.
En commençant son projet, Emma Sulkowicz avait assuré qu'elle était prête à emmener son matelas avec elle à la remise de diplôme si l'université ne bougeait pas. La date approchant, l'administration a tenté de la dissuader, mais l'étudiante de 23 ans est finalement montée sur scène, le matelas sur le dos pour une toute dernière fois. Aidée par quatre amies, elle a dû faire face à l'ignorance du président de Columbia, Lee C. Bollinger, qui a refusé de lui serrer la main comme le rapporte le New York Times . Cette année, l'homme a été la cible de nombreux étudiants qui l'accusent d'ignorer totalement les victimes d'agression sexuelle. Pour protester contre son ignorance et son mutisme, une centaine d'élèves de Columbia avaient déposé 28 matelas devant chez lui en octobre dernier. Les matelas représentaient le nombre de victimes dont les plaintes avaient été ignorées au cours des derniers mois.
En recevant son diplôme, Emma Sulkowicz a mis un point final à sa performance artistique. Mais si elle est enfin prête à se délester de son poids, ses détracteurs les plus motivés ne sont pas prêts à la laisser quitter Columbia sans la faire souffrir une dernière fois. Au lendemain de la remise de diplôme, le visage de la jeune femme s'est retrouvé sur un nombre important de posters placardés un peu partout dans les rues aux alentours de l'université. Emma Sulkowicz y apparaît avec son matelas, tandis que les mots "Pretty Little Liar" (jolie petite menteuse) et "Rape Hoax" (le canular du viol) barrent l'affiche. Etrangement, l'actrice Lena Dunham - qui a raconté l'agression sexuelle qu'elle a subie à l'université dans son livre "Not That Kind of Girl" - est également visée par certaines affiches.
Dans le même temps, la (ou les ?) personne qui se cache derrière cette vengeance cruelle a également lancé un compte Twitter de bon goût baptisé Fake Rape ("faux viol"). Le compte s'en prend méchamment à Emma Sulkowicz et retweete essentiellement des utilisateurs qui l'accusent de mentir. Selon le site Jezebel, le blogueur Chuck Johnson, connu pour ses idées extrêmement sexistes, pourrait se cacher derrière cette campagne ultra-vicieuse. Mais l'homme a démenti, arguant simplement qu'il "aurait bien aimé" être la personne qui se cache derrière tout ça. La grande classe.
Pour le moment, Emma Sulkowicz n'a pas réagi à cette attaque, mais de nombreuses personnes ont choisi de prendre sa défense en arrachant les affiches. Alors que le documentaire The Hunting Ground, diffusé à Sundance en janvier dernier, expliquait que 90 universités étaient visées par des enquêtes, peu avant, l'Etat de Californie a promulgué la loi "Yes means Yes" qui stipule que tout acte sexuel doit être précédé par un consentement des deux partenaires. Quant à Columbia, c'est avec un simple programme artistique autour du respect sexuel que l'université espère faire évoluer les mentalités. Un programme qui a du mal à faire son job apparemment.