L'enquête vient du New York Times, et le constat est édifiant : jusqu'à ce que la crise sanitaire du coronavirus oblige certains hommes à travailler de chez eux (la moitié des Tokyoïtes, un quart des Japonais), ils n'avaient aucune idée de l'ampleur des efforts domestiques que leur femme fournissait au quotidien. Aujourd'hui, cloîtrés entre quatre murs avec leurs enfants, la montagne de linge qui s'accumule et les devoirs à faire chaque jour, la prise de conscience est réelle. Et d'autant plus pour Susumu Kataoka, consultant marketing et père de deux enfants en bas âge.
Fier de lister à sa femme ses 21 tâches quotidiennes (donner le bain aux petits, faire la vaisselle, surveiller le brossage de dents, entre autres), il est redescendu de quelques étages devant le fichier Excel de 210 actions reliées au foyer effectuées par sa compagne en une journée. "Je voulais vraiment qu'il comprenne tout ce que je faisais", explique Aki Kataoka, étudiante infirmière, au média américain pour justifier l'interminable document. Susumu le publie sur Twitter, où il explique que les deux ont failli faire face à un "coronadivorce". Le post fait mouche : il est retweeté plus de 21 000 fois.
A croire que la situation n'est pas isolée - et qu'il n'est pas le seul à (enfin) se rendre compte de la charge réservée aux femmes pendant le confinement (une internaute se réjouira même que "les travaux ménagers sans nom voient enfin le jour !", en référence aux petites tâches invisibles).
Si le pays n'est pas le seul à la traîne dans le domaine, il siège tout de même confortablement dans le groupe de tête. Car au Japon, les hommes consacrent moins d'heures aux tâches ménagères et à la garde des enfants que dans les pays les plus riches du monde. Et dans une étude réalisée en 2019, environ la moitié des couples de travailleurs japonais ont déclaré que les hommes effectuaient 20 % des tâches ménagères ou moins. Un décalage qui freine les femmes dans leur carrière.
"Si nous ne pouvons pas partager le travail à la maison de manière égale, alors nous ne pouvons pas créer un monde dans lequel les femmes sont empouvoirées", analyse Aki Kataoka. Avec environ la moitié des femmes actives au Japon qui occupent des emplois à temps partiel ou contractuels sans avantages sociaux, contre près d'un homme sur cinq, cela renforce chez certains hommes le sentiment que leur travail rémunéré est prioritaire par rapport à celui de leur femme, laissant à celle-ci le soin de s'occuper de la majeure partie des tâches ménagères. Et donc moins de temps pour évoluer professionnellement.
"Le Japon, fondamentalement, et par rapport à d'autres pays, impose aux femmes une part beaucoup plus importante des travaux domestiques", appuie Yuiko Fujita, professeure de sociologie à l'université Meiji. Pour elle, si la remise en question des Japonais est appréciable - et nécessaire - elle a peu de chance de changer durablement la donne. "Je ne pense pas que l'on va soudainement devenir une société dans laquelle il est beaucoup plus facile pour les femmes de travailler juste à cause de cet état d'urgence", déplore l'experte. Et pour cause, une fois que les hommes seront de retour au bureau, absents de la maison jusque tard le soir, il semble très optimiste qu'ils continuent leurs efforts.
La faute aux employeurs, avance le New York Times, pour qui le télétravail qui n'envisagent pas d'assouplir leur façon de faire au-delà de l'état d'urgence sanitaire (certains ayant déjà fait preuve de réticence à l'idée de laisser leurs salariés travailler de chez eux).
Susumu Kataoka admet que la fameuse liste l'a aidé à être plus productif. Le soir, après le repas par exemple, il confie au média américain qu'il avait l'habitude de paresser dans le canapé. Maintenant, il s'attaque aux machines. Mais l'avoue : la reprise de la vie normale le fera certainement replonger. "Parce que je suis ici, j'ai plus de temps pour faire le ménage. Mais une fois que je devrais retourner dehors et que je dois rester tard au travail, je ne pourrais pas faire toutes ces choses". Le répit sera donc bref, pour les Japonaises.