Le gaslighting n'a rien de récent et pourtant, l'expression anglophone a particulièrement squatté les colonnes des journaux ces derniers temps. Dernier exemple en date : l'assaut du Capitole. Ou plutôt, la façon dont les Républicains réagissent aux actes de leurs partisan·e·s, rétorquant à qui veut l'entendre que la haine des attaquant·e·s n'a pas été attisée par un Donald Trump vexé comme un pou d'avoir perdu les présidentielles, mais par le clan démocrate qui a refusé de les écouter.
Ou encore, arguant que l'invasion n'était pas armée comme l'affirment plusieurs élu·e·s. "Sinon, ça aurait fini en bain de sang", justifie notamment, droit dans ses bottes, le représentant républicain Ken Buck. Autant de réflexes terriblement problématiques tant ils visent à brouiller notre vision du réel à des fins manipulatrices.
D'un point de vue relationnel, le schéma est grosso modo le même. Une personne fait croire à l'autre que ce qu'elle a analysé ou ressenti n'est pas légitime, voire basé sur aucune vérité fondée. Critique, et foncièrement nocif. Pour disséquer ce mécanisme, que l'on retrouve dans certaines relations toxiques, on a fait appel à la thérapeute et psychologue clinicienne Laëtitia Bluteau. Elle nous dissèque les contours d'un engrenage dangereux, qui puise sa force dans nos failles les plus intimes.
D'abord, traduction : en français, gaslighting ne veut pas dire grand-chose. Ou du moins, rien qui ne puisse éclairer immédiatement notre soif de savoir. Il n'existe pas de traduction littérale du phénomène en psychologie non plus, nous répond la spécialiste. Et pour cause, le terme définit davantage un mécanisme relatif à la manipulation, qu'un trouble ou un diagnostic précis qui aurait besoin d'être nommé dans notre langue.
"Gas Light, c'est le titre d'un film de 1944 (Hantise en VF, ndlr)", précise-t-elle. "Un film qui raconte l'histoire d'un homme qui passe beaucoup de temps dans un endroit de sa maison. Et quand sa femme a des doutes, identifie quelque chose d'étrange dans son comportement, il lui répond qu'il s'occupe juste d'une lampe dysfonctionnelle." La fameuse "gas light", ou "lampe à gaz" en français. "Tout au long du scénario, on saisit quelque chose de très bizarre : il s'absente pendant de longues heures dans une pièce mystérieuse, et il fait tout pour cacher la réalité de ce qu'il fait à sa femme."
"Le gaslighting décrit cette capacité à mettre de la confusion dans la relation, et notamment dans une relation toxique d'emprise", poursuit l'experte. "Il s'agit d'un mécanisme par lequel la personne que l'on va nommer victime va complètement perdre pied. Elle ne va plus comprendre ce qui se passe, et ne saura pas définir l'origine de la situation problématique qui se répète. Le but de celui ou celle qui utilise le gaslighting, c'est de faire ressentir à la victime que c'est elle, le problème. Qu'elle a comme un défaut de fabrication".
Un réflexe qui se retrouve beaucoup, à niveaux d'intensité différents, chez les personnes narcissiques, et qui "consiste justement à transvaser toute la noirceur que la personne porteuse du trouble narcissique ressent en elle, chez l'autre. Tout ce qu'elle ressent comme profondément mauvais, incompétent, nul en elle-même - car c'est ce qui se cache toujours en dessous des apparences - elle va les déverser en créant un vase communiquant avec une victime qui va être en charge de porter toutes ces pensées négatives".
Exemples concrets : le "gaslighter" va banaliser et diminuer nos émotions, nous dire que nos proches parlent derrière notre dos, évoquer des choses qu'il niera ensuite avoir dites, ou encore insister sur le fait que l'on était ou n'était pas à un certain endroit, même si ce n'est pas vrai, liste Healthline. "C'est vraiment une façon de manipuler l'autre en brouillant les pistes en permanence, de perturber le système de croyance de la personne à coup de messages paradoxaux", prévient Laëtitia Bluteau, qui donne également quelques moyens de s'en extirper.
"Quand on est dans ce genre de situation, on sait que quelque chose cloche", assure la spécialiste. Souvent, cela signifie d'ailleurs que "dans notre histoire, il y a quelque chose sur cette tonalité-là, et qu'il est très important d'identifier. Quelque chose en lien avec notre système ou notre histoire familiale ou personnelle, qui fait qu'il n'a pas été possible de mettre en place certaines limites, sa capacité à dire non, à s'affirmer".
Et l'auteur du gaslighting utilise cette vulnérabilité à (très) mauvaise escient, décrypte la psy, qui insiste prestement sur le fait que rien n'est de la faute de la personne qui subit.
A celles et ceux qui se reconnaîtraient dans ces rouages forcément ravageurs, elle conseille sans détour de partir. "Il n'y a pas vraiment de bonne solution, mis à part s'en aller. Celui qui a besoin de 'gaslighter' manque cruellement d'auto-observation", explique Laëtitia Bluteau. "Ce sont des personnes qui ne sont pas en capacité de se remettre en question, ni d'assouplir ce mode de fonctionnement pour être plus à l'écoute de l'autre." Il faut par là comprendre que, dans les cas les plus graves de gaslighting mené par des pervers narcissiques, "si l'autre nous manipule et veut nous faire croire à des choses, il est impossible de réussir à le convaincre qu'il faudrait avoir plus d'empathie. C'est illusoire de penser cela".
Elle recommande également la tenue d'un journal d'émotions. D'écrire chaque jour ce que l'on ressent, mentalement et physiquement, pour voir la proportion de moments positifs et négatifs. "Une liste d'émotions, de sensations dans le corps. Est-ce qu'on a eu mal au ventre, la gorge nouée, le coeur qui bat fort ? Procéder par l'écrit de façon à toucher plus authentiquement la réalité du ressenti". Réalité que le gaslighting nous fait perdre de vue. "Tout ça, ce sont des choses vraies. Quand on ressent des choses aussi intenses dans une relation, ce n'est pas normal. Ce sont des signaux que le corps manifeste et qu'il faut écouter".
Autant de clés sans aucun doute difficiles à intégrer, mais qui permettront, en agissant en douceur et entourée avec bienveillance, d'accéder à un futur résolument plus sain. Enfin.