Est-ce une bonne chose de féminiser les icônes de la pop culture ? La question se pose alors qu'au fil des années les remakes, reboots et séries "au féminin" se suivent avec plus ou moins de succès. Par-delà les réactions engendrés par ces projets, c'est leur sens qui est passé au grill.
Récemment encore débarquait sur Disney + She-Hulk : Avocate, série Marvel narrant les péripéties de la cousine de Bruce Banner, le Hulk originel. En somme, une Hulk féminisée peinant à concilier ses superpouvoirs et sa carrière d'avocate, dans un univers se référant aussi bien aux comic books qu'à la série culte Ally McBeal. Une création singulière, mais à l'accueil volontiers propice aux haters.
Ainsi la série a-t-elle suscité la colère des trolls sexistes, dont certains, relate Fredzone, l'accusent carrément d'être "anti-hommes" ou de "rabaisser les hommes"... Quitte à appeler à son boycott pur et simple. Des réactions extrêmes et absurdes s'il en est. Mais cet accueil cependant en évoque bien d'autres, observés ces dernières années.
A savoir, celui de séries et films proposant un autre son de cloche, certes, mais qui se retrouvent volontiers contestés par le public, ou, hormis les haters, par les artistes eux-mêmes. Et plus encore, par les voix féminines.
En s'installant tranquillement sur Disney +, She-Hulk semble effectivement emprunter la même voie que des films sortis ces dernières années, projets dits de "gender swap" - d'inversion des genres. Par exemple ? Le SOS Fantômes de Paul Feig, révision "girl power" du classique des années 80 auréolé d'un casting de talents comiques féminins indéniables. Mais aussi Ocean's 8 en 2018, narrant le casse délicat opéré par la soeur de Danny Ocean, le protagoniste de Ocean's Eleven. Sandra Bullock s'y fait l'héritière de George Clooney.
Des films qui en ont enthousiasmé certains, et fait rager d'autres, parfois pour de (très) mauvaises raisons. Ainsi SOS Fantômes a fait l'objet d'un acharnement disproportionné de la part des fans sur les réseaux sociaux, colère portée auprès des actrices (et plus particulièrement de Leslie Jones, l'une des interprètes principales), comme si le film originel était totalement intouchable. Qu'importe, le "gender swap" était lancé.
D'autres films ont suivi, comme Ce que veulent les hommes (relecture d'un classique de la rom com signé Nancy Meyers, avec Mel Gibson et Helen Hunt) et d'autres projets étaient à l'époque annoncés, tel un The Expendables "au féminin" ou bien une Ligue des gentlemen extraordinaires "féminisée".
A l'heure de She-Hulk, et par-delà les commentateurs sexistes, d'aucuns mettent sérieusement en doute la légitimité de cette tendance qui repose avant tout sur un concept : se réapproprier un imaginaire familier et riche d'une fanbase certaine, pour y injecter très basiquement des versions féminines de personnes connues, au lieu d'établir de nouveaux imaginaires, de nouvelles histoires réellement audacieuses, de nouveaux univers.
Et les voix critiques ne sont pas seulement celles du public. Ainsi récemment, Ana de Armas, révélation du dernier opus de l'agent 007 Mourir peut attendre, s'exprimait au sujet d'un projet ambitieux : laisser une femme incarner James Bond, un jour. Et l'actrice n'a pas gardé sa langue dans sa poche : "Il n'y a pas besoin d'une femme James Bond. Il ne devrait pas y avoir besoin de voler le personnage de quelqu'un d'autre pour le féminiser".
Un avis qu'elle a étayé : "Par conséquent, ce que j'aimerais, c'est que les rôles féminins dans les films 007 soient mis en scène d'une façon différente. Il faut qu'on leur donne plus de substance et une vraie reconnaissance".
"James Bond est un personnage masculin. Il a été écrit en tant qu'homme et il le restera probablement. Nous n'avons pas à transformer des personnages masculins en femmes. Créons plus de personnages féminins et adaptons l'histoire à elles", abondait la productrice historique des films James Bond, Barbara Broccoli. Un appel à la créativité qui semble bien légitime.
De la même manière, le média américain féministe Jezebel fustigeait cette approche souhaitée par les grands studios : "Ces films inversant les genres sous-entendent que les femmes ne sont pas assez importantes pour avoir leurs propres histoires et doivent donc s'appuyer sur des sagas masculines qui ont déjà eu du succès".
En somme, ces projets n'auraient rien d'audacieux, c'est même l'inverse.
Une opinion que l'on retrouve aujourd'hui avec l'accueil de She-Hulk. Car dès la parution des comics éponymes dont s'inspire la série Marvel, les militantes féministes montaient déjà au créneau. Comme le rappelle Le Point Pop, la première She-Hulk était alors accusée "de n'être que le pendant féminin d'un surhomme, avec une morphologie plus sexy".
C'est là que se pose le grand enjeu de ces projets : "switcher" les protagonistes en "féminisant" davantage tout un pan de la pop culture est-il signe d'audace... ou de fainéantise ? On pourrait également voir là un marqueur de "feminism washing", autrement dit, un féminisme opportuniste et mercantile, érigeant cette féminisation en argument "girl power" et "empouvoirant" censé conquérir un public plus éveillé aux enjeux d'égalité.
"Il devrait simplement y avoir de meilleurs rôles pour les femmes. Pourquoi une femme devrait-elle incarner un personnage comme James Bond quand on pourrait trouver des rôles aussi bons que James Bond, mais pour une femme ?", s'interrogeait Daniel Craig, dernier interprète de l'agent 007.
La question se pose encore pour She-Hulk, récit super-héroïque piochant dans une mythologie où les icônes masculines sont légion. Ces enjeux mettent en évidence les soucis d'écriture qui s'observent au sein de l'industrie du spectacle, et ça, ce n'est pas nouveau... du tout. Ainsi depuis des décennies un genre comme celui du film d'action nous propose-t-il des icônes féminines qui bien souvent ne semblent être que des versions super-sexualisées de leurs homologues masculins, arborant flingues et talons aiguilles - les hitwomen.
Comme She-Hulk, des blockbusters tels que Colombiana, Ava et Anna posent la question de la féminisation des stéréotypes masculins, revisités façon girl power. Ces films mettent en scène des femmes d'action. Mais sans que le féminisme ne nous saute aux yeux. "Girl Power est un terme fourre-tout. Pour les producteurs, il peut vouloir dire : on imagine des meufs qui ont autant d'autorité que les mecs. Des femmes puissantes qui portent des robes, des combinaisons en latex ou des mini-shorts", cingle Océane Zerbini du podcast The Lemon Adaptation Club. On le comprend, ces oeuvres déstabilisent peu le patriarcat.
Si She-Hulk s'exerce à fuir la glamourisation sans pour autant délaisser la "badasserie", l'éternel souci du "féministe ou pas féministe ? audacieux ou contre-productif ?" se pose encore et toujours. "Malgré toutes les tentatives de She-Hulk d'être une création féministe, la série ne peut concevoir son héroïne que comme une réponse féminine à Hulk", déplore ainsi le site Polygon. Et ce malgré le fait, modère le site, que le show exploite correctement une thématique indissociable des luttes pour l'égalité : la colère, pardi.
Cependant, le gender-swap movie permet de mettre en lumière les problèmes de représentation des genres à l'écran. C'est ce que relève le Huffington Post, rappelant que ces transpositions diverses émanent "de l'atmosphère qui règne depuis quelques années à Hollywood où les actrices, les réalisatrices, les scénaristes... se font entendre et tentent d'avoir une place égale à celle des hommes dans l'industrie du cinéma". Ce sont d'ailleurs des voix féminines - showrunneuse, scénariste, actrice - qui portent She-Hulk.
De cette visibilité qui fait grincer bien des dents sur les réseaux sociaux, on peut déjà se réjouir. Sans forcément délaisser pour autant son esprit critique.