Les films d'action ou d'horreur pour les mecs, les comédies romantiques pour les meufs. Bien souvent, cette même assignation des genres (dans tous les sens du terme) a été établie au fil des réflexions ou blagues diffusées dans les films, articles et autres conversations du quotidien. Aujourd'hui heureusement, ce raccourci semble plus démodé que jamais. Et pourtant, un certain sexisme demeure. Mais pas celui que l'on croit.
Effectivement, c'est au sein même des romances que se pose la question des discriminations. Pas tant parce que les histoires d'amour au cinéma ont tendance à donner le la aux personnages masculins toxiques ou aux clichés les plus increvables, ça encore... Nous nous sommes presque habitué·e·s. Non, c'est au sein de l'équipe technique desdites productions (hollywoodiennes) que l'égalité des sexes s'avère des plus critiques. Au devant de cette observation, un constat : pour autant de rom-coms, combien de réalisatrices ?
Réponse (prévisible) : trop peu malheureusement. Aujourd'hui, une enquête édifiante du média culturel Pop Sugar nous apprend d'ailleurs que l'industrie du spectacle a une fâcheuse tendance à virer les femmes cinéastes qui ont initié des franchises du genre plutôt lucratives - pour ne pas dire phénoménales. En haut de l'affiche des premiers opus de certaines sagas romantiques, ces réalisatrices sont rapidement dégagées des suites.
Il semble y avoir quelque chose de pourri au royaume des romances.
Twilight, A tous les garçons que j'ai aimés, Cinquante nuances de Grey... Ils sont nombreux, les fleurons de la romance (de plus ou moins bonne qualité certes) à être apparus dans le paysage ciné sous la direction d'une femme réalisatrice. A savoir, pour les trois hits cités plus haut, respectivement Catherine Hardwicke, Susan Johnson et Sam Taylor-Johnson. Ces love-stories destinées à un public d'ados (ou young adult) ont cartonné, lancé la carrière de jeunes comédiens plein de promesses, et ont même donné droit à des pastiches truculents.
Les réalisatrices dont il est ici question étaient d'ailleurs loin d'être débutantes avant ces succès. Catherine Hardwicke avait déjà enrichi le champ du teen movie d'une véritable perle indé (Thirteen), la réalisatrice britannique Sam Taylor-Johnson avait quant à elle été remarquée pour ses talents de vidéaste, clippeuse et photographe tendance, Susan Johnson, enfin, était depuis des années productrices de clips et de films salués par la critique (comme Mean Creek, sorte de Stand By Me en plus (white) trash). Des profils très inspirants qui sont venus, autant que faire se peut, apporter leur patte à des productions très policées et codifiées.
Et pourtant, malgré les chiffres du box-office, ces femmes ont pu constater toute l'ingratitude de l'industrie du spectacle. Une fois le premier opus sorti et célébré, elles n'ont pas pu rempiler pour la suite, et ont été remplacées par leurs homologues masculins. Pire encore, certaines ont dû attendre jusqu'à trois ans pour repartir sur un nouveau projet. Preuve en est que l'inclusion dans le milieu du ciné, ce n'est pas encore ça.
Mais comment l'expliquer ? Pop Sugar délivre plusieurs éléments de réponses. Le mépris qu'affichent généralement les studios envers les productions dirigées par des femmes ou jugées "féminines", déjà, pourrait être un premier indice. Il n'est effectivement pas rare que lesdits studios lésinent sur les campagnes de marketing quand il est question de romances. Et ce, malgré l'attrait commercial indéniable du genre depuis des décennies. Il faut croire qu'une "rom-com" sera toujours moins sexy à vendre qu'un blockbuster de l'été.
Mais ce n'est pas tout. "La mise à l'écart des cinéastes femmes fait partie d'une histoire plus vaste et angoissante à Hollywood", déplore encore le magazine en ligne, rappelant qu'en 2020, les femmes n'ont réalisé que 16% des 100 films les plus rentables outre-Atlantique.
Un pourcentage des plus éloquents. La romance ne serait donc finalement qu'un genre populaire parmi d'autres où s'observerait cette inégalité des représentations. Ce qui n'est pas vraiment plus rassurant. Peut-être, mais pas un genre comme les autres cependant.
Malgré une ribambelle d'électrons libres formidables, la comédie romantique demeure un genre ultra-codifié, soumis à toutes sortes de normes et attentes et surtout, à un certain regard masculin, dans la vision de l'amour, des relations hommes/femmes, comme de la sexualité, que le genre propose – et ce, malgré le florilège d'icônes féminines qu'il arbore. Ainsi peut-on mettre cette inégalité sur le coup d'une frilosité, celle des décideurs et producteurs comme des studios.
Frilosité commerciale certaine à l'idée de ne pas privilégier un certain "female gaze", c'est-à-dire un regard féminin, et par là même une réécriture audacieuse des codes "mainstream", point de vue alternatif qui passerait principalement par la mise en scène ou l'écriture. Et ce au grand désarroi du public, pas forcément si hermétique aux "autres regards" portés sur un genre populaire un brin essoufflé et sur les personnages (majoritairement féminins) qu'il met en scène. La critique et autrice Iris Brey, dans son essai Le regard féminin (réédité en format poche aux Editions Points) parlerait plus volontiers "d'expérience féminine".
Cette expérience qui, dans un cinéma que l'on dit pourtant "féminin", s'avère hélas si rare.
Certes, l'on pourrait citer de grands noms de cinéastes saluées pour leurs productions passées. La regrettée Nora Ephron par exemple, scénariste de Quand Harry rencontre Sally et réalisatrice de Nuits blanches à Seattle et Vous avez un message. Mais aussi Nancy Meyers, à qui l'on doit quelques néo-classiques comme The Holiday ou Ce que veulent les femmes. Dans un tout autre genre, plus tragique, une cinéaste majeure comme Jane Champion (Bright Star, La leçon de piano) a elle aussi marquée le vaste champ de la romance à l'écran.
Des exemples de romances "au féminin", il y en a plein. Mais il faut un peu les chercher. Certaines cinéastes citées sont décédées, d'autres en manque de projets. Le site Film School Rejects nous recommande ainsi les oeuvres de Sarah Polley (également comédienne) comme Take This Waltz avec Michelle Williams, certaines oeuvres plus méconnues de la cinéaste belge Chantal Akerman (A Couch in New York avec Juliette Binoche) ou encore It's Already Tomorrow in Hong Kong, la love-story indé de la réalisatrice américaine originaire de Taïwan Emily Ting.
Autant de manières d'apporter de nouveaux points de vue sur un imaginaire qu'il fait bon remanier.
Et les critiques cinéma féministes ne sont pas seules à chercher leurs romances ailleurs. De grands noms du paysage hollywoodien assènent également cette invitation à plus de diversité. Par exemple ? La productrice et comédienne Reese Witherspoon. Lors de la promotion d'Un coeur à prendre (Home Again), comédie romantique de 2017 réalisée par Hallie Meyers-Shyer où l'actrice incarne une quadragénaire en couple avec un jeune homme de 27 ans, la star de Legally Blonde s'est plu à vanter les vertus des comédies romantiques dirigées par des femmes.
On l'écoute : "C'est formidable d'avoir une réalisatrice qui voit vraiment la romance d'une manière différente. Mon personnage a une histoire d'amour avec un homme de 27 ans et je ne suis pas sûre que cela serait venu à l'idée d'un cinéaste homme. Avec un film comme celui-ci, il s'agit de mettre à jour la comédie romantique, et je pense que le public est prêt pour quelque chose de nouveau et d'un peu plus moderne".
Et l'actrice de poursuivre : "C'est agréable de voir une certaine réalité reflétée dans une comédie romantique. Il est important que nous ayons plus de femmes derrière la caméra". C'était il y a quatre ans déjà. Aujourd'hui, alors que la direction du troisième volet de la franchise A tous les garçons que j'ai aimés a été décernée à un réalisateur (et non à une réalisatrice), la "mise à jour" souhaitée par Reese Witherspoon se fait encore timide.
Moralité : un cinéma pour les femmes, cela reste à voir, mais par les femmes, ce serait déjà pas mal.