"Mesdames, c'est à vous que je veux m'adresser aujourd'hui". A l'occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes ce 25 novembre, Emmanuel Macron s'est permis d'interpeller sur ses réseaux sociaux les citoyennes, l'espace d'un communiqué officiel au ton solennel et concerné. On écoute le président de la République : "Oui, les violences domestiques augmentent durant le confinement. C'est une réalité, mais pas une fatalité. La première chose à faire, c'est alerter, dénoncer. L'essentiel, c'est que vous ne vous taisiez pas".
Des paroles qui n'ont l'air de rien et qui, pourtant, ne passent pas. Car lorsqu'il rappelle les divers moyens d'alerte des violences - conjugales notamment - comme le recours au numéro d'écoute national 39 19, aux plateformes gouvernementales (Arrêtons les violences) et autres espaces d'aide (les pharmacies), Emmanuel Macron se morfond vite dans un phrasé des plus malheureux : attribuer le poids des violences aux victimes.
Ce sont toujours elles, les victimes, et plus globalement les femmes, qui se devraient donc d'alerter, de dénoncer, de faire porter la voix, aux autorités compétentes notamment. D'où ce "Mesdames" qui semble exclure de la conversation les hommes, pourtant principaux responsables de cet enjeu de société primordial, mais aussi... le gouvernement. Une impasse rhétorique que dénoncent volontiers les associations féministes.
Car l'exclusion de la présence masculine est évidemment problématique. C'est d'ailleurs ce sur quoi insiste Anthony Vincent, l'instigateur du podcast inclusif Extimité. "Pourquoi les campagnes contre les violences faites aux femmes responsabilisent tant les femmes ?", s'interroge-t-il sur Twitter. Avant de poursuivre : "Pourquoi on voit pas plus de campagnes disant : 'Ce sont des violences surtout commises par des hommes. Vous n'avez pas le droit de frapper votre épouse, ni votre ex' ?. J'en peux plus des campagnes qui montrent des visages tuméfiés, sans montrer les bourreaux. Eux, on les nomme jamais, on les responsabilise jamais...".
C'est justement pour rectifier ce topos contre-productif que certaines campagnes mettent en lumière les hommes, qu'ils soient agresseurs, ou non. Comme le dernier spot impactant de la Maison des Femmes de Saint-Denis qui, à travers la voix du champion de kick boxing Cédric Doumbé, brosse les divers visages de la masculinité toxique. Et rappelle que si les mecs ne sont pas tous coupables, ils n'en sont pas moins "tous responsables". Face à leur passivité, trop banalisée lorsqu'il s'agit d'observer et d'accepter les violences sexistes - notamment.
Oui, mais cette vérité-là a dû échapper aux oreilles de la présidence, malgré l'initiation du Grenelle des Violences Conjugales il y a plus d'un an de cela. Tout comme ont dû lui échapper les appels insistants à plus de considération - budgétaire, par exemple.
Ce que déplore Caroline De Haas, l'instigatrice du collectif féministe Nous Toutes. Sur Twitter, l'activiste interpelle directement Emmanuel Macron : "Monsieur le Président, depuis plusieurs années, nous savons que les femmes de victimes de violences parlent. Le problème ? On ne les écoute pas. Formez les professionnel·le·s. Mettez les moyens sur la table. Arrêter de nous dire de parler. Ecoutez-nous".
Dialogue de sourds, à l'heure où bien des professionnelles - de la loi par exemple - dénoncent ces insuffisances. C'est le cas de l'avocate Céline Marcovici, qui déplore auprès de Terrafemina un budget national trop faible alloué au traitement des violences faites aux femmes, un accueil des victimes volontiers critique au sein des commissariats, une absence de prise en compte des violences psychologiques, une stigmatisation des victimes. Les mots ne suffisent plus : alors qu'une majorité des plaintes sont encore classées sans suite, il faut des actes.
Stigmatisation qui paraît perdurer quand toute la charge des violences - et de leur dénonciation - semble se porter sur les femmes. C'est comme si ces violences n'avait qu'un visage : celui de la victime. Sans critique du système auquel elles se confrontent.
"Pendant des années, les politiques publiques ont eu pour objectif de dire aux femmes : 'Osez parler'. On s'est rendu compte que ça ne fonctionnait pas, car en réalité, les femmes parlent déjà ! Mais on ne les entend pas. La difficulté aujourd'hui n'est pas tant de dire aux femmes de parler que de mettre en place les dispositifs pour être entendues", déplore en ce sens Caroline de Haas dans les pages de L'Obs.
Pour la militante, le discours d'Emmanuel Macron est problématique "car il fait porter sur les femmes la responsabilité des défaillances des politiques publiques", précédemment évoquées - l'attention encore insuffisante portée sur la formation des professionnels par exemple. "C'est aussi aux auteurs de violences d'avoir honte et se responsabiliser", explique encore Anthony Vincent. Et à l'Etat, également, de prendre ses responsabilités ?