La parentalité regorge de moments épanouissants, merveilleux, incomparables. Et d'autres, où on hésite entre s'enfermer dans les chiottes pour pleurer, ou hurler jusqu'à plus de souffle dans un coussin. Montagnes russes émotionnelles, quand tu nous tiens.
Justement, ce sont ces parenthèses de désespoir et de ras-le-bol viscéral que met en exergue le compte Instagram La complainte du beurre fondu. A coup de publications au design simple et efficace, sa créatrice, Bénédicte, aussi derrière la page @4enfantsen4ans, partage les expériences de parents au bord de la crise de nerfs selon un format imparable : en postant une réponse courte et mordante à la question "Et toi, qu'as-tu fait de diabolique pour déclencher l'ire de ton kid ?" Les résultats sont hilarants et surtout, déculpabilisants.
"L'idée est venue d'un retour d'expérience de Manon, de @daroniefoodclub (autre compte Instagram du même genre, celui des mères qui racontent la maternité telle qu'elle est : terriblement épuisante et profondément réjouissante)", nous raconte-t-elle. "Sa fille a hurlé pendant un moment car elle avait demandé à lire une histoire et sa mère a répondu 'oui'. Visiblement, pas de la bonne façon".
Manon partage l'anecdote en stories avec un appel aux témoignages similaires. C'est elle qui trouve la formule, à laquelle papas et mamans répondent avec entrain et un second degré défiant toute concurrence. Florilège : "Il m'a demandé si le pain était au lait, j'ai dit oui" ; "je n'ai pas voulu pour la 50e fois d'affilée lui montrer son caca dans la couche et lui faire sentir" ; "je lui ai dit qu'elle ne pouvait pas mettre son petit frère de deux semaines dans son cartable pour la rentrée en maternelle"; "je l'ai empêché de boire mon mojito" ; "il m'a demandé d'arrêter de respirer, j'ai refusé".
Et puis : "Le beurre a fondu".
Pour ne pas en perdre une miette, Bénédicte décide alors d'immortaliser ces courts récits (savoureux avec du recul) qui en disent long sur la réalité de la vie avec enfants en bas âge. La complainte du beurre fondu naît, et avec elle, disparaissent petit à petit nos complexes de ne pas réussir à calmer nos gosses en moins de temps qu'il en faut pour dire "au secours".
La première question qui nous vient à l'esprit quand on échange avec Bénédicte, c'est l'évidence : pourquoi mettre en avant les colères des enfants ?
"Parce que la plupart du temps, c'est drôle", lâche-t-elle. "Parce qu'on réfléchit beaucoup en tant que nouveau parent à tout bien faire comme il faut, en se mettant une pression improbable, et qu'on en oublie parfois de se marrer avec nos enfants. Parce que ça permet de déculpabiliser car les situations décrites nous tombent dessus à tous sans prévenir, et qu'on est tous les bras ballants devant le gosse en rogne à se demander comment on va gérer quelque chose comme ça. Quelque chose qui peut nous paraître ridicule, même si on voit que pour eux c'est la fin du monde."
Elle poursuit, confiant elle aussi "faire partie de la team qui culpabilise pour beaucoup de choses" et épinglant la face sombre des réseaux sociaux : celle qui gomme les points négatifs. "On voit souvent véhiculée l'image de la parentalité parfaite, d'une maison propre, de gosses propres et bien peignés, souriants [façon] l'ami Ricoré. Et à force, ça engendre un effet pourri sur le cerveau. On se dit : 'Mais les autres y arrivent, pourquoi pas moi ?'. Même avec l'entourage, en tant que parent, on peut avoir tendance à lisser les moments pénibles et à mettre seulement en avant les victoires et trucs chouettes."
Le but de sa page Instagram, au-delà de procurer quelques larmichettes de fous rires bienvenus dans ce monde de brutes, est donc de créer une solidarité parentale, un exutoire, un moyen pour chacun·e de réaliser que dans bien des cas, ces colères ne sont pas issues d'un supposé échec éducatif et que parfois, nos petit·e·s sont juste insupportables. Et il n'y a rien d'autre à faire que d'attendre que ça passe.
On ne peut pas résister à l'envie de lui demander : quels sont ses conseils pour gérer l'orage ou en tout cas, réussir à lâcher du lest ? "J'ai 4 enfants mais je ne suis pas experte en parentalité et je pense que surtout chacun connaît ses propres gamins", insiste-t-elle. Mais depuis qu'elle a lancé ce projet, elle aussi, relativise. "Ça m'aide à regarder leurs caprices avec humour, chose que j'avais beaucoup de mal à faire avant."
Bénédicte avise de garder en tête "qu'on fait ce qu'on peut, chacun de nous, en tant que parent. Qu'on a le droit d'être empathique envers ses enfants (savoir qu'ils ne font pas forcément 'exprès' de faire des caprices et des colères, que leur cerveau n'est pas mâture, OK) mais qu'on est aussi nous-mêmes des êtres humains qui avons droit au respect. Que quand les crises s'enchaînent, c'est difficile de toujours trouver comment les gérer avec bienveillance pour ses enfants. Et c'est pas grave."
Elle continue : "On peut arriver plusieurs fois à désamorcer en leur changeant les idées, ou en le prenant avec humour, ou en passant le relais à un autre adulte quand c'est possible... Mais on peut aussi ne pas y arriver et demander à l'enfant de la boucler car il fait beaucoup trop de bruit pour pas grand-chose. Et c'est okay aussi." Déculpabilisant, on vous dit.
Et puis, quand rien n'y fait, la jeune femme invite tout simplement à fuir. Elle plaisante : "Bon, pas trop loin. Pensez à votre contraception ou à la tartiflette ou à la bière de ce soir". "Plus sérieusement", reprend-elle, "mon message serait 'tu es un bon parent, tu fais ce que tu peux et c'est déjà parfait'".
Dans certains cas cependant, la présence du père ou de la mère n'est pas suffisante. "Si les crises s'enchaînent, si on ne sait plus comment être serein avec son enfant, si on a l'impression de ne plus y arriver, on a le droit de se faire aider par des professionnels formés."
Cela peut passer par "discuter avec la nounou ou la maîtresse permet de trouver un angle de réflexion auquel on n'a pas forcément pensé". Ou bien, se tourner vers le médical, en demandant son avis au·à la médecin généraliste, au·à la gynéco, au·à la sage-femme. "On peut se faire accompagner par la PMI, les LAEP, les CMP et les autres organismes autour de l'enfance", énumère Bénédicte.
Et de conclure : "C'est parfois très difficile d'être parent, on n'est pas obligé de rester seul face à des situations éprouvantes." En attendant, il y a toujours La complainte du beurre fondu.