Lorsque nous la joignons par Zoom ce lundi 21 mars, Lesia Vasylenko est sur la route. Elle est en train de faire une petite pause pour manger avant de repartir en voiture vers Kyiv. La connexion est mauvaise et le parcours semé d'embûches pour rejoindre la capitale assiégée par les troupes russes, d'autant qu'un couvre-feu a été instauré d'une durée de 36 heures ce 21 mars. Mais elle tient à y retourner. Elle veut être là, sur le terrain, après avoir mis ses trois jeunes enfants à l'abri au début de l'offensive. Depuis le début de l'invasion russe le 24 février dernier, la jeune parlementaire de 34 ans ne ménage pas ses efforts pour sensibiliser la communauté internationale au drame qui se joue dans son pays. A coups de tweets, elle raconte le quotidien d'une population attaquée, relaie les images des immeubles éventrés par les missiles, la souffrance et le courage de son peuple.
Pour Terrafemina, Lesia Vasylenko témoigne du nouveau quotidien de sa patrie en guerre et appelle à la mobilisation pour venir en aide à son pays meurtri.
Lesia Vasylenko : Ma dernière semaine n'a pas été vraiment "typique". J'étais à l'étranger, en France et au Royaume-Uni, pour une mission diplomatique. Chaque jour, j'ai enchaîné des entretiens, des interviews avec plusieurs médias internationaux, j'ai écrit des lettres aux parlementaires pour leur demander de fermer l'espace aérien autour de l'Ukraine et de nous aider à combattre l'oppression de Poutine.
L.V. : En fait, nous sommes en conflit depuis huit ans. Cette guerre a réellement commencé le 20 février 2014 (avec la révolution de Maïdan qui avait provoqué le départ du président pro-russe Viktor Ianoukovitch-ndlr). Ces huit ans de vie dans une zone de conflit nous ont menés à être moins méfiants. On nous a dit plein de fois que Poutine allait attaquer, qu'il amassait des troupes armées aux abords des frontières ukrainiennes... Mais ce sont des choses que l'on avait déjà vues ces huit dernières années. Et on ne pensait pas qu'il passerait à l'offensive et irait aussi loin comme il est en train de le faire.
L.V. : J'étais à la maison. D'un coup, j'ai été réveillée le 24 février par une ancienne collègue de mon mari qui nous a appelés à 5 heures du matin. J'ai compris que quelque chose de grave était en train de se passer, d'autant qu'il y avait eu des tensions les jours auparavant. J'ai ensuite vu plusieurs messages de mes collègues députés. J'ai eu 10 minutes pour me préparer avant qu'ils ne viennent me chercher pour aller voter au Parlement. La guerre avait commencé.
L.V. : J'ai trois enfants : mon fils aîné a 8 ans, ma fille a 6 ans et une petite fille de 9 mois. Je leur ai expliqué que je les éloignais pour leur bien, pour qu'ils soient sains et saufs et que c'était un petit voyage qu'ils allaient faire pendant que Maman devait travailler.
J'ai de la chance car j'ai eu la possibilité de les voir deux fois quelques heures depuis le début de la guerre. Je sais que j'ai fait le bon choix. C'était le seul à vrai dire : je veux que mes enfants vivent et soient en sécurité. Je ne pense pas que les explosions, les sirènes soient des sons que des enfants devraient entendre. L'une de mes missions aujourd'hui est d'aider à évacuer un maximum d'enfants des villes ukrainiennes où ils pourraient être exposés à ces bruits et ces visions de guerre. Aucun enfant ne devrait vivre ça dans le monde.
Aujourd'hui, lorsque je vois mes enfants, ce n'est plus une question de "quand" je vais les revoir, mais "si" je vais les revoir.
L.V. : Je n'aime pas les armes donc si je devais l'utiliser, ce serait uniquement un moyen de me défendre si une situation devenait incontrôlable. L'armée ukrainienne nous protège, j'ai une confiance absolue en elle, les soldats font un travail remarquable.
L.V. : Oui, nous avons 15% de femmes dans l'armée. Plein de femmes se battent dans l'armée régulière. Nous avons aussi des bataillons volontaires, des femmes civiles qui ont rejoint ces rangs pour patrouiller et défendre les villes et leur communauté. Et ces femmes sont vraiment excellentes ! On a des femmes snipers qui sont meilleures que les hommes.
L.V. : C'est un sujet très délicat, mais il me semble important d'en parler. On a recueilli des témoignages de sept femmes qui ont été victimes de viol dans les petites villes de la banlieue de Kyiv comme Irpin où l'armée russe était stationnée pour tenter d'encercler et prendre la capitale. Les soldats russes auraient commis plusieurs crimes de guerre. Mais le viol est peut-être celui qui fait le plus mal.
En tant que femme, on pense tout de suite que cela peut nous arriver, arriver à nos amis, à nos filles... Pour le moment, il est très difficile d'avoir plus de détails car les familles de ces femmes qui ont survécu au viol ne veulent pas parler, elles sont trop traumatisées, ou les victimes ont été tuées après ce crime.
L.V. : Parmi les premiers jours de guerre, on a pu voir l'image de l'une des premières blessées de la guerre. Une dame qui venait de sortir de son immeuble frappé par un missile avec le visage en sang avec un bandage sur la tête. C'est une photo qui a fait le tour du monde, une image très forte.
L.V. : J'ai radicalement changé d'avis à son propos. J'étais connue pour le critiquer, mais depuis le début de l'invasion, je pense que le président Zelensky fait du très bon travail. Il est aux côtés de son peuple, avec son armée et c'est tout ce qu'il faut. Il essaie de négocier avec Poutine les intérêts ukrainiens, c'est-à-dire l'évacuation des troupes russes de l'Ukraine et la restitution des frontières ukrainiennes. Il m'impressionne.
L.V. : L'argent que la Russie a investi dans des chaînés télé et des journaux est colossal. L'Ukraine n'a jamais eu ce genre de budget. Nous, tout ce qu'on a, ce sont les réseaux sociaux. Et cela nous aide beaucoup. Et c'est une communication très franche. Quand je tweete, je poste ce que je ressens et c'est sûrement ce qui explique que cela soit devenu si populaire. J'y mets toute ma douleur, mon authenticité.
L.V. : J'ai quelques relations qui datent de mes études, des Russes qui sont partis à l'étranger. Leur position est très claire : ils soutiennent notre pays. D'ailleurs, ils m'écrivent en ukrainien et organisent des marches en soutien à l'Ukraine. J'ai une amie russe arrivée en Ukraine il y a 10 ans : elle a détruit son passeport russe, elle est devenue Ukrainienne et dépense toutes ses ressources pour soutenir l'armée ukrainienne.
L.V. : Ce qu'il s'y passe est une véritable tragédie. Les habitants y sont littéralement exterminés. Ils n'ont plus de nourriture, plus d'eau et il semblerait que ces personnes soient enfermées dans des camps qui s'apparenteraient à des camps de concentration en Russie, où là encore, elles seraient privées de tout.
L.V. : Oui, bien sûr, il n'y a pas d'autres options. L'Ukraine va gagner.
L.V. : Ils ont une responsabilité, et je ne parle pas de l'OTAN, mais de l'ONU. Ils sont censés garantir aux citoyens la sécurité et la défense collectives. Mais ce n'est pas le cas pour l'Ukraine, qui combat seule. Oui, on reçoit des armes, des moyens pour combattre, de l'aide humanitaire, mais ce n'est pas suffisant. On a besoin d'un effort commun de cette communauté internationale qui pourrait stopper Poutine, le faire reculer jusqu'à la Russie et aider ensuite la Russie à devenir un pays qui respecte le droit international et les droits humains. L'Ukraine ne peut pas y arriver seule. On a besoin d'un effort collectif.
L.V. : Les guerres d'aujourd'hui sont combattues par des armes mais aussi des moyens économiques. Je trouve qu'il est impératif qu'une coalition anti-Poutine soit mise en place pour protéger les couloirs humanitaires, avec une présence au sol et dans le ciel ukrainien. Mais aussi que les sanctions économiques continuent et que ces armes économiques soient utilisées contre la Russie pour aider le pays à se réformer de l'intérieur.
L.V. : Il y a quelques sociétés françaises comme Leroy Merlin, Renault, le Crédit agricole, Auchan, qui ne veulent pas sortir des marchés russes. Elles veulent continuer à payer des taxes, des impôts au gouvernement russe qui prend cet argent et achète des armes qui seront ensuite utilisées pour tuer des Ukrainiens, pour commettre ce crime de génocide contre la population ukrainienne, les femmes, les enfants, tout un pays de 42 millions d'habitants. C'est du cynisme pur. Les Français peuvent arrêter d'acheter des produits alimentaires chez Auchan, Metro, boycotter Leroy Merlin. Ce serait une action forte.