Société
Les contes de fées font-ils la promotion de la culture du viol ?
Publié le 11 décembre 2017 à 13:10
Par Charlotte Arce | Journaliste
En Grande-Bretagne, une mère de famille a demandé à ce que "La Belle au Bois dormant" soit retiré des salles de classes. Motif invoqué ? La culture du viol véhiculée par le conte de fées, dans lequel la princesse est embrassée alors qu'elle est profondément endormie et donc non-consentante.
Les contes de fée promeuvent-ils la culture du viol ? Les contes de fée promeuvent-ils la culture du viol ?© DR
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Une jeune fille endormie. Un garçon qui se penche sur elle et, sans consentement, lui arrache un baiser pour la sortir du sommeil.

Cette scène n'est pas tirée d'un dépôt de plainte pour agression sexuelle. Il s'agit du dénouement de La Belle au Bois dormant, popularisé par Charles Perrault et les frères Grimm, avant d'être adaptée au cinéma par les studios Disney.

Raconté à des générations d'enfants, ce conte de fées est aujourd'hui regardé autrement. L'affaire Harvey Weinstein et l'onde de choc #MeToo sont passés par là. Accusée de promouvoir la culture du viol, l'histoire de la princesse réveillée par le baiser non-consenti d'un étranger pourrait bien ne plus avoir sa place dans les salles de classe.

C'est en tout cas le souhait de Sarah Hall. Fin novembre, cette mère de famille résidant dans le comté de Newcastle en Angleterre, a défrayé la chronique outre-Manche en demandant à ce que La Belle au Bois dormant soit banni de la salle de classe de son fils de six ans car l'histoire promeut un message "sexuel inapproprié" aux jeunes enfants.

Pour Sarah Hall, il est impensable que l'on puisse aujourd'hui enseigner aux enfants qu'embrasser une femme sans son consentement est totalement inacceptable. Considérant que le conte perpétue la culture du viol, la mère de deux enfants a partagé sur son compte Twitter sa vision du conte pour enfant. "Je pense que ce conte traite aussi de comportement sexuel et de consentement. Il montre à quel point ce type de comportement est ancré dans notre société", écrit-elle. "Tant que de telles histoires seront racontées en classe, la société ne changera jamais."

Un message problématique

Le commentaire de Sarah Hall sur La Belle au Bois dormant a suscité de nombreuses réactions négatives et moqueuse.

"Cela devient ridicule, s'énerve une internaute. Je n'ai jamais regardé une seule fois La Belle au bois dormant en pensant qu'il donnait un mauvais message sur le consentement." "Interdisons Cendrillon tant qu'on y est : il assigne les femmes à un rôle subalterne, tout ça", renchérit une autre.

Le coup de gueule poussé par Sarah Hall contre les contes de fée a beau sembler trivial, il a au moins eu le mérite de faire réfléchir à l'enseignement du consentement. A l'heure où on explique qu'il est primordial d'enseigner dès l'école maternelle l'égalité femmes-hommes pour en finir avec les stéréotypes sexistes, s'interroger sur la portée des contes ne semble pas complètement idiot. Comment ainsi faire comprendre à une petite fille et à un petit garçon que "non" signifie "non" si, dans les histoires qu'on leur raconte, le prince fait fi de l'avis de la princesse et l'embrasse alors qu'elle n'y a pas consenti ?

Dans une tribune publiée dans le Guardian, la rédactrice en chef adjointe de The Observer Stephanie Merritt explique que les enfants, même petits, font très bien la différence entre la réalité et les histoires qu'on leur raconte. En revanche, elle reconnaît que les contes de fées "avec leurs préoccupations et leur structure séculaire du pouvoir, peuvent être particulièrement problématiques dans le façonnement du sens et du rôle des enfants". Stephanie Merritt donne ainsi comme exemple les effets négatifs de la "culture de la princesse" développée par Disney pour vendre plus de dessins animés et leurs produits dérivés. De nombreuses études ont reconnu qu'offrir aux fillettes des rôles-modèles de princesses – des filles belles mais muettes que le héros plein de panache vient sauver des griffes du grand méchant – perpétuait les stéréotypes sexistes.

S'en servir comme outil pédagogique

La Belle au Bois dormant n'est d'ailleurs pas le seul conte de fées problématique : Blanche Neige et les Sept Nains, elle aussi embrassée contre son gré, ou encore Cendrillon, occupée du soir au matin à astiquer la maison, ne donnent pas une image des plus valorisantes des femmes.

Dans le cas de la Belle au Bois dormant, la bannir des classes de plus petits enfants n'est peut-être pas une mauvaise idée. En revanche, le prendre comme exemple chez les plus grands pour leur faire comprendre la notion de consentement peut aussi s'avérer être une bonne idée. "Essayer d'enseigner à son enfant ce qu'est le consentement est une entreprise noble. Cela signifie que moins de femmes seront agressées et que moins d'hommes feront de mauvais choix faute d'éducation. Donc, avant de dire d'un parent qu'il est trop précieux ou trop politiquement correct, prenez un moment pour vous demander quelles sont les valeurs que vous voulez vraiment que votre enfant ait, et demandez-vous si les histoires que vous lui racontez correspondent vraiment à ces valeurs", écrit pour Metro la féministe Rebecca Reid. "Les histoires de fées ont évolué et changé continuellement depuis leur première écriture. Faisons consentir le prochain chapitre de cette évolution."

Bien qu'aujourd'hui considéré comme choquant, le conte de La Belle au Bois dormant a en effet été largement édulcoré au fil des siècles. Dans les premières versions de ce conte italien datant du XIVe siècle, la princesse endormie est violée et fécondée par un prince qui passait par là. Mais tout finit bien car après qu'elle se soit réveillée et remise du choc de découvrir qu'elle a eu des jumeaux, le prince revient et l'épouse. À l'époque, cela constituait une fin heureuse. La preuve qu'il ne faut jamais espérer de faire évoluer les mentalités.

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