L'ordinaire est bien plus "extra" que vous ne le pensez. Prenez votre routine, tiens. Les mêmes gestes, mécaniques, habituels, comme des automatismes plaqués sur votre quotidien. Sans saveur, pourrait-on déduire. Des conclusions trop hâtives néanmoins. Car la répétition, tout comme l'expérience, est riche de sens. Réitérer un geste, relire un livre ou revoir un film, n'est pas un acte dépourvue de bienfaits. Bien au contraire même.
Aujourd'hui, de plus en plus de voix expertes insistent d'ailleurs sur les bénéfices mésestimés des habitudes. Et si répéter une action c'était l'enrichir de significations inattendues ? La question mérite effectivement d'être posée. Mieux encore, elle peut être soutenue par diverses explications scientifiques et psychologiques. Si si.
Il suffit juste pour s'en convaincre de décrypter ce qui constitue nos petites routines aux grands effets. Une invitation à revaloriser non seulement l'attention que l'on porte au monde, mais aussi cette capacité d'émerveillement que l'on a tous et toutes en nous. Cherchez bien.
La routine bienfaitrice, une réalité scientifique ? C'est en tout cas ce que suggère le psychologue clinicien Steve Orma, qui voit en elle un moyen de soulager l'anxiété, le stress, et même de lutter contre les insomnies. "Tout comme nous créons des routines d'exercice pour notre corps et notre santé physique, nous devons faire de même pour notre santé mentale", assure-t-il au site Head Space.
Comprendre, la routine est comme une promenade intérieure. Elle est bonne pour l'esprit puisqu'elle fait de nos journées une suite rassurante d'actes fixes, établis, formalisés, idéaux pour ne pas trop se noyer dans ses protocoles et décisions. On chérit donc nos plannings comme l'on passe un pied devant l'autre, avec sérénité.
C'est d'ailleurs ce qu'affirme une étude publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology et relayée par le magazine lifestyle TreeHugger. Elle nous explique, expériences sur plusieurs "cobayes" à l'appui (des individus à qui l'on a fait visiter des musées, relire un livre ou revoir un film qui leur sont familiers) qu'une partie de notre plaisir "vient du sentiment de familiarité et de confort de ce qui nous est connu". Familiarité, confort : la routine est comme un plaid dans lequel se nicher les soirs d'hiver.
Un remède à l'incertitude en somme.
Mais ce n'est pas tout. Non seulement la routine est confortable, mais elle est étonnante. Paradoxal, mais logique. Moins familière qu'on ne pourrait le croire, une expérience déjà vécue peut, relate le Journal of Personality and Social Psychology, engendrer de nouvelles observations à chaque revisite. Faites le test pour voir.
Revoyez un film, relisez un livre, contemplez un tableau que vous adorez. Y revenir est toujours une redécouverte de l'oeuvre. Comme une première fois. On s'attarde sur de nouveaux détails, des nuances appréciables. Notre regard s'aiguise et mûrit comme un fruit au fur et à mesure de notre routine. C'est d'ailleurs ce qu'affirme non sans poésie le New York Times : chaque individu a déjà éprouvé cette "joie inattendue des expériences répétées", affirmant même que "la nouveauté est surfaite".
La nouveauté, surfaite ? En tout cas, la première fois n'est pas forcément évidente. Quelle que soit l'expérience. Une visite dans un musée par exemple. D'où l'utilité de la deuxième, troisième, quatrième fois. Mieux connaître les choses, c'est aussi mieux les comprendre. Et en dégager plus de satisfaction.
Professeur en sciences comportementales à la Booth School of Business de l'Université de Chicago, Ed O'Brien en atteste : "Faire quelque chose une seule fois peut engendrer cette impression exagérée selon laquelle l'on aurait maintenant vu 'cela' ou fait 'cela'. Les gens échappent plus facilement aux nuances qu'ils leur restent à apprécier".
Et si l'habitude était un signe d'exigence personnelle ?
Avec ses qualités insoupçonnées, la routine a donc tout pour être notre amie. Mais elle est encore trop malaimée. Professeur à la Harvard Business School, Michael Norton le déplore d'ailleurs dans les pages du New York Times. Selon l'expert, "des mots comme 'répétitivité' ont tendance à être associés à des émotions plus négatives, a contrario de 'nouveautés'". "Nouveautés", ou "variété", termes davantage accolés à une philosophie optimiste. Comme si l'expérience à venir comptait plus que l'expérience passée. Une assertion réductrice.
D'autant plus que le familier ne se limite pas à une monotonie fastidieuse. Il s'agit aussi de préserver votre santé mentale. Cela, le coach de carrière Marty Nemko en est convaincu. "Une routine peut être quelque chose que vous savez faire, et que vous pouvez bien faire, ce qui est réconfortant dans les moments difficiles. La vie moderne, de plus en plus définie par l'imprévisibilité, est anxiogène. Or, nos routines nous fournissent un ancrage de prévisibilité", décrypte-t-il du côté du site lifestyle HeadSpace.
Au fond, tout est une question de point de vue. Certains associeront le "déjà-vu" à la morosité, d'autres à la créativité - de cette routine que chérissent les autrices qui s'évertuent à écrire à horaires réguliers. Professeure de psychologie à l'université de Harvard, Ellen Langer partage cette idée de subjectivité. "C'est la façon dont nous accueillons les événements qui les rend positifs ou négatifs", déclare-t-elle au New York Times.
A la lire, tout change constamment, de sorte que "la deuxième expérience n'est jamais exactement la même que la première", même si elle concerne les mêmes choses. Il ne tient qu'à nous pour que l'habitude soit "enrichissante, excitante, intéressante". Une réflexion limpide. "La répétition pourrait très bien ajouter un peu de piquant à la vie", abonde en ce sens l'étude du Journal of Personality and Social Psychology.
Mais plutôt qu'un culte de la nouveauté ou une sacralisation béate de la routine, le professeur Michael Norton en appelle quant à lui à un entre-deux bienvenu : chérir les habitudes, mais les délaisser un temps, pour mieux les retrouver et restaurer leur sens après cette courte pause. Et pourquoi pas ?