"Dix femmes racontent le regret d'être mère". Un sous-titre fort pour un ouvrage qu'on lit d'une traite.
Dans ce livre-enquête, on découvre les pensées inavouées de Giulia, Sylvie, Coline ou encore Elsie, recueillies par Stéphanie Thomas, aussi productrice et réalisatrice télé et radio. Chacune a un parcours différent, chacune un rapport différent à son désir d'enfant. Pourtant, elles ont une chose en commun : la crainte viscérale ou l'expérience bien réelle de regretter avoir mis au monde leur enfant.
Ce sentiment, l'autrice le soupçonnait chez sa propre grand-mère, la mère de son père. "Une grand-mère formidable mais une mère compliquée", nous résume-t-elle. Si elle n'est plus là aujourd'hui pour en discuter, Mémé Vonne incarne toutefois le point de départ de ce travail sur plusieurs années.
Et puis, au gré de ses recherches et des discussions qu'elles lui ont ouvertes, Stéphanie Thomas a trouvé d'autres voix concernées. Dans son entourage mais surtout, sur les forums en ligne qui garantissent l'anonymat. Le preuve, s'il en fallait, du tabou qui entoure toutes celles qui ne se reconnaissent pas, ni ne correspondent au mythe de la maternité tel qu'on nous l'impose : un rêve forcément épanouissant. Entretien.
Stéphanie Thomas : Plus on va en parler, plus les gens en entendront parler et moins ils auront la réaction que j'ai eue, moi, au départ (celle de rejeter cette idée, ndlr). J'ai compris par la suite pourquoi beaucoup ont cette réaction, parce qu'on a peur que ce soit le cas pour nos propres mères. Les gens ont peur d'être regrettés, pas désirés, pas voulus. Ça fait écho en chacun·e d'entre nous.
Personnellement, ça m'a fait beaucoup de bien de travailler sur ce sujet-là. Je pense que je ne m'étais jamais posé ces questions, finalement, de pourquoi on veut un enfant, de la maternité. Ma fille était ado quand je me suis lancée dans l'écriture du livre, un peu casse-bonbon (rires). Et j'ai commencé à la scruter, à interroger mon rapport de mère, à me renseigner sur l'adolescence... C'était aussi intéressant de me plonger dans le récit de ces femmes et de les écouter.
S. T. : Il y a une pression monumentale sur les femmes et ce qu'on attend d'elles depuis la nuit des temps, on est élevées comme ça de génération en génération. S'ajoute à cela celle de l'horloge biologique.
On nous ramène constamment à notre rôle de génitrice, à la fonction de mère. C'est tout ce qu'on semble attendre des femmes : si ce n'est pas soi, c'est son conjoint, sa famille ou même son travail. Il y a partout une injonction à être mère, on idéalise la maternité comme si c'était Hollywood, alors que ce n'est pas vrai. Toutes les femmes ne sont pas égales face à la maternité, et on vient toutes avec son bagage.
S. T. : Oui c'est tout à fait ça. Ce n'est pas un mensonge que l'on poursuit mais ce n'est pas limpide non plus. A ce sujet, Giulia et sa mère ont toutes les deux fait leurs enfants pour leur conjoint. On ne fait pas toujours les enfants pour les bonnes raisons.
S. T. : Oui, de la part d'hommes. C'est ce que j'observe en tout cas sur les réseaux sociaux. Il y a une forme de frustration chez certains d'entre eux : les femmes peuvent faire des enfants et les hommes pas. Et ça, ils le savent, donc ils veulent les obliger à faire des enfants sans se poser trop de question, à rester à la maison.
Quelques femmes réagissent aussi en disant que ces femmes, celles qui regrettent, sont des "égoïstes", que les enfants sont la chose la plus merveilleuse. On m'a dit aussi : "Mais est-ce que vous avez pensé aux enfants en écrivant un livre comme ça ou en pensant ça ?" Alors que c'est beaucoup plus tragique de vivre avec ce sentiment-là pour les mères que ça ne l'est pour les enfants. Car ce sentiment ne s'en va pas.
Ce que j'ai pu voir également, c'est que les femmes que j'ai interrogées sont des femmes complètement dévouées pour leurs petits, qui en font toujours plus pour eux afin de combler leur propre culpabilité. Elles sont toujours pleine de bonne volonté, d'envie de faire bien.
Pourtant, tout ce qu'elles font pour leurs enfants, même si elles s'en occupent très bien, elles m'ont confié que ça n'avait aucun sens. Elles le font tous les jours, mais même le plus beau sourire de l'enfant ne va pas les remplir. C'est révélateur d'autre chose, c'est que le regret de l'enfant vient heurter des manques qu'elles ont en elles. Il y a également un fantasme de ce qu'aurait été leur vie sans l'enfant.
S. T. : Non, il n'y a rien de mis en place pour les écouter. Récemment, j'ai dîné avec une amie qui m'a confié ressentir ce regret, qui m'a dit que si c'était à refaire, elle ne voudrait pas d'enfants. Elle est naturellement anxieuse - et toutes celles que j'ai interrogées le sont - et son enfant la plonge dans des angoisses stratosphériques.
Pourtant, là aussi, elle passe son temps à jouer avec son fils, à tout faire pour lui. Je lui ai demandé pourquoi elle n'en a jamais parlé, elle m'a répondu : "Je ne pouvais pas. Je pense que les gens ne pouvaient pas m'entendre." D'autres sont venues vers moi pour me dire ce qu'elles pensaient réellement de la maternité, que ce n'était pas ce qu'on promettait, sans pour autant regretter. Les langues se sont déliées. Moi, cela m'a permis d'analyser ma famille.
S. T. : Oui, on leur dit "mais non tu verras, ça va s'arranger". Alors qu'en réalité, elles savent depuis la première seconde où elles ont le bébé dans les bras, qu'elles ont fait une connerie et qu'elles ne pourront jamais l'avouer. C'est une double peine. C'est "fais un gamin, et si tu regrettes, surtout, tais-toi".
S. T. : Parce que les deux derniers passent avec le temps et un accompagnement. Le regret, lui, ne passe pas. Il est révélateur d'autre chose, il est plus profond. Les mères qui font un baby blues ou une dépression post-partum ne regrettent pas forcément leur enfant. Si l'on accumule les deux en revanche, comme Ambre dans mon livre, c'est terrible.
S. T. : Il faut que les gens en parlent, qu'il y ait des reportages, des films, que les mères réussissent à le confier. Il faut que le sentiment de regret maternel fasse partie du panel de la maternité.
Mal de mères, de Stéphanie Thomas. Ed. JC Lattès. 180 p. 19 euros