Par-delà le Cher Connard de Virginie Despentes, ils sont nombreux, les romans à nous avoir bousculé en cette rentrée littéraire. Premiers romans, voyages oniriques, manifestes féministes, nos fictions coups de coeur de ce mois de septembre entremêlent romance et sororité, intensité politique et intimité qui vise le coeur.
Et à l'approche des jours plus frileux et des lectures dominicales sous la couette, ces sept-là risquent bien d'envahir votre bibliothèque.
Un roman qui aurait presque pu s'intituler : dans l'enfer des métiers-passions. En relatant l'expérience difficile de Frankie, plume aux convictions solides débarquée au coeur d'un imposant magazine féminin (le Féminin du titre), l'ex journaliste Claire Touzard suggère à quel point les valeurs féministes sont difficilement compatibles avec cet univers de papier glacé. Injonctions des annonceurs et cadeaux généreux, volonté de rendre tout "pop", invasion du fashion et du cool sur le reste...
Comme une façon d'interroger, avec une plume acérée, non seulement les paradoxes d'un magazine féminin (où les cadeaux et voyages de presse sont de luxe, mais l'existence des salariées, ultra-précaire), mais aussi la perduration des luttes au temps du feminism washing, ce féminisme opportuniste et mercantile notamment valorisé par la mode et la pub. Et plus encore, la survie de l'exigence journalistique dans une profession de plus en plus bousculée – et volontiers soumise à des rapports de pouvoir, que l'autrice décrit tout autant.
Ce n'est pas Le diable s'habille en Prada : c'est hélas, beaucoup plus réaliste.
Féminin par Claire Touzard. Editions Flammarion. 330 p.
Un roman à deux voix, ce n'est pas si courant. D'autant plus quand une autrice s'empare d'un personnage, et une seconde, de l'autre. C'est là le concept très sororal de cette fiction passionnée et solaire mais qui pourtant, éclot d'un profond sentiment de tristesse : celui de la séparation. Jenny pense à Eve, celle qui est partie, autrement dit, l'évaporée. Toutes deux relatent leur rapport à l'amour, à la création, au temps, à l'autre, le long d'introspections tantôt lyriques tantôt brutes, crues, amères.
Une quête d'authenticité traverse ce roman qui s'empare d'une histoire vieille comme le monde (la rupture) pour aborder en filigrane quantité de thématiques féministes : l'amour comme révolution, la place de la réciprocité dans les relations, l'écriture du désir féminin (et du désir entre femmes), mais aussi, la liaison potentiellement subversive entre la femme et la nature. Tout cela énoncé avec beaucoup de poésie et de sensations.
L'évaporée par Fanny Chiarello & Wendy Delorme. Editions Cambourakis. 180 p.
A chaque nouvelle rentrée, son (et sa) Amélie Nothomb. Ca n'a pas manqué cette année avec ce Livre des soeurs au sein duquel la romancière belge emmêle avec toujours autant de singularité thématiques (familiales) profondément intimes et fantaisie ludique emportant son public comme un conte. De conte il pourrait être question puisque cette histoire-là nous plonge à hauteur d'enfants. L'on suit l'évolution de deux soeurs, partageant tout : dépit parental, émerveillement mutuel, large perplexité face au monde adulte.
Ces deux protagonistes ne sont pas jumelles, mais complémentaires : au sein d'une société jamais avare en jugements, elles se soutiennent réciproquement, valorisant une très littérale sororité. Entre les lignes, c'est l'admiration d'Amélie Nothomb pour sa propre soeur, Juliette, qui s'énonce. Avec une pointe de lucidité piquante, un sens de la narration toujours intact, de l'humour et surtout, beaucoup, beaucoup de tendresse.
Le livre des soeurs par Amélie Nothomb. Editions Albin Michel. 195 p.
Voilà un récit qu'aurait pu mettre en images un Terrence Malick – avec moins d'humour cependant. Les poumons pleins d'eau déploie le dialogue lointain entre un père, qui a mis fin à ses jours, et sa fille, qui demeure parmi les vivants. Découle de ce postulat un dimension évidemment mystique.
Au cours de ce voyage, l'esprit n'en finit pas d'être en mouvement. Celui de la figure paternelle, oscillant entre deux mondes, mais aussi l'esprit du lecteur, fort de réflexions philosophiques sur la vie, la mort, les regrets, les souvenirs, le rapport du corps au temps.
Les poumons pleins d'eau par Jeanne Beltame. Editions Equateurs. 145 p.
Quand la tension d'un thriller rencontre l'éclat d'une plume féministe, tranchante, précise, cela donne ce récit protéiforme relatant la hantise d'une femme, envahie par ses souvenirs lorsque l'homme qui a failli la tuer par le passé fait la Une des journaux – et pour des raisons loin d'être glorieuses (no spoiler). S'impose dès lors un récit haletant, mais aussi déroutant, notamment lors de sa première partie (vraiment) très dépaysante.
Si l'on est pris par le cours des événements et l'atmosphère, étouffante, le roman s'apparentant parfois à un puzzle dont il faudrait rassembler les pièces, ce sont également tous les constats de la narratrice qui tiennent en haleine. Sur l'impunité des agresseurs, la condition féminine, le rapport entre désir et violence dans notre culture... Hommes fait appel au pouvoir de l'imaginaire et de la fiction pour poser sur papier les grands enjeux de la révolution #MeToo.
Hommes par Emmanuelle Richard. Editions de l'Olivier. 250 p.
Récit personnel, le nouveau roman de Leonara Miano (inspiré de sa propre histoire) narre le quotidien loin d'être évident d'une jeune mère sans domicile ni titre de séjour, accueillie dans un centre d'hébergement d'urgence et de réinsertion.
A travers la description de ce lieu de rencontres et de cette vie en attente, c'est la France que l'autrice écrit : ses marginalités, ses laissés-pour-compte, son histoire, et aussi son rapport à la pauvreté. Le tout avec une véritable sensibilité documentaire et une parole très intime.
Stardust par Leonara Miano. Editions Grasset. 250 p.
L'homme qui danse, c'est Arthur, découvrant en La Plage son eldorado. C'est dans cette boîte de nuit du bord de Loire que notre protagoniste va prendre l'habitude de commencer ses soirées... Ou de les terminer. Une décennie après l'autre, son rapport au monde de la nuit évolue. Arthur vieillit, et l'insouciance des nuits passées à vaincre la morosité sur fond de Chris Brown s'évapore comme la fumée d'une cigarette. Petit à petit, le danseur se rapproche dangereusement de la crise existentielle.
Ludique dans sa narration (un chapitre, une décennie), ce nouveau roman de Victor Jestin (couronné par le Prix Goncourt des lycéens pour son précédent) est en quelque sorte un cri du coeur générationnel. L'auteur s'interroge sur la pulsion de vie des post-trentenaires, de ceux qui quittent progressivement leur jeunesse dans une sorte de fuite en avant, enfermés dans leurs souvenirs, animés par leur nostalgie. Un mouvement à la fois mélancolique et euphorique, que l'ambiance des boîtes de nuit synthétise à merveille. Un livre attachant.
L'homme qui danse, par Victor Jestin. Editions Flammarion, 192 p.