L'une, Camille Tallet, est sage-femme. L'autre, Élise Thiébaut, est journaliste féministe et autrice de l'ouvrage référence Ceci est mon sang (ed. La Découverte).
Ensemble, elles ont mis au point ce "manuel anti-douleur qui en a entre les jambes" dont le but est d'améliorer significativement notre confort vulvaire. Un livre à destination des personnes qui en sont dotées, mais aussi des praticien·ne·s qui risqueraient d'y apprendre une chose ou deux (voire vingt), précise la soignante qui exerce à Lyon.
Au fil des pages, on s'informe sur le rôle des sécrétions, les symptômes de la candidose, le vaginisme, la cystite interstitielle... Et puis, on découvre que le symbole de la vulve se cache partout, jusque dans notre alphabet. Alors, pour prolonger cet apprentissage passionnant, on a discuté avec les deux autrices un long moment. Echange.
Camille Tallet : Ce livre est fondamental parce qu'en France, on est très mauvais sur le diagnostic des douleurs gynécologiques. Beaucoup de professionnel·le·s de santé sont peu, pas ou mal formé·e·s.
L'idée de cet ouvrage, c'est que la femme puisse trouver des informations là où le corps médical ne lui en donne pas. Quelque chose de "grand public" qui puisse ouvrir la parole sur ces problématiques gynécologiques et bien faire comprendre aux personnes concernées que, si on a écrit un livre à ce sujet, c'est que ce qu'elles expérimentent et ressentent n'est pas uniquement dans leur tête, mais qu'il y a vraiment quelque chose qui cloche. Et qu'il faut qu'elles trouvent le·la bon·ne praticien·ne pour les accompagner.
Elise Thiébaut : D'un point de vue de patiente, je me suis lancée dans ce livre parce que j'étais étonnée du peu d'informations fiables que j'avais sur mon propre corps, et des difficultés que je pouvais éventuellement rencontrer. Avec Camille Tallet, nous avons fait se rencontrer nos deux approches. Pour l'anecdote, lors de nos premiers échanges, je lui ai évoqué un problème personnel qu'elle a su régler en 15 minutes seulement (rires). Et donc je me suis dit que ce savoir pourrait être utile à d'autres.
Nous souhaitons donner de la dignité à ce sujet. Ce n'est pas un sujet anecdotique, ni de franche rigolade, mais un sujet de savoir, de connaissance. Qui cherche à réhabiliter l'expérience que chacun·e va avoir de son propre corps. Valider le fait que la douleur n'est pas normale et que l'on peut agir. Celle pendant les relations sexuelles en particulier. C'est un moyen d'accéder à un savoir qui nous déculpabilise et nous autorise à se considérer nous-même dignement dans notre intégrité.
C. T. : Tout à fait. C'est un moyen d'empowerment. On connaît bien son corps, mais peu sa peu sa vulve. Ce livre, c'est dire "voilà ce qui peut lui arriver". C'est répertorié les petits maux qui, si on les prend bien en charge rapidement, auront très peu d'impact. On doit pouvoir être autonome sur ce terrain-là pour trouver des professionnel·le·s et leur décrire clairement nos symptômes par la suite.
E. T. : Par ailleurs, on précise à plusieurs reprises que l'automédication peut être contre-productive car elle implique des risques de faire un mauvais diagnostic. Exemple parmi d'autres : en prenant un médicament contre la mycose alors qu'on a une vaginose.
Le tableau que Camille a réalisé (qui énumère différents maux, leurs symptômes et leurs remèdes, ndlr) est un outil de prévention qui permet aussi de pouvoir poser les bonnes questions. C'est un moyen de désinhiber ce sujet et d'obtenir un dialogue de meilleure qualité avec les soignant·e·s, pour éviter les violences et/ou maladresses qui pourraient survenir.
C. T. : On ne dira jamais assez que la douleur n'est jamais normale. Dans notre vie de tous les jours, mais aussi en consultation. La douleur vulvaire est un énorme tabou. Et le problème vient de nous, professionnel·le·s de santé, car nous n'avons pas les solutions pour vous répondre.
C. T. : La formation autour de la santé sexuelle comporte déjà d'énormes lacunes, mais la sexualité de la femme et le confort vulvaire sont encore moins abordés. On ne nous l'apprend pas en faculté de médecine, ni en école de sage-femme. C'est une aberration.
Et encore, en France, nous sommes mieux loti·e·s qu'ailleurs : on peut être pris·e en charge à 100 % sur une consultation gynéco, ce qui n'est pas le cas partout. Je ne sais pas si on peut vraiment l'expliquer, si ce n'est par le fait que la médecine soit très patriarcale.
E.T. : Il y a cette violence médicale bien dénoncée par Martin Winckler, qui est encore plus forte s'agissant des femmes. La gynécologie a longtemps été le domaine d'hommes qui exercent sur des femmes avec, il faut le dire, une éducation judéo-chrétienne qui commence par "tu accoucheras dans la douleur". Et puis, les statistiques le montrent, la douleur exprimée par une femme est deux fois moins soulagée et deux fois moins vite que pour un homme. Lui, on le prend au sérieux tout de suite, elle, on considère par défaut qu'elle est "chochotte".
Nous sommes habituées et conditionnées à ne pas prendre en compte les douleurs que nous rencontrons - psychiques, physiques - et à nous sacrifier pour le bien-être des autres même en étant mal à l'aise soi. Et lorsque les femmes forcent le trait pour enfin se faire entendre, on dit qu'elles sont "hystériques". Le savoir gynécologique s'est également construit sur des violences envers les femmes. Le premier spéculum notamment.
Avec ce livre, j'avais vraiment envie de mettre en relief le rôle des sages-femmes pour le suivi gynécologique quotidien, même si bien sûr il y a aussi de très bons médecins.
C. T. : Sages-femmes et médecins n'ont pas la même éducation médicale, ce qui peut expliquer certaines différences de traitement. Je pense que les médecins ont leurs raisons, mais ce qui est sûr c'est que de manière originelle, nous les sages-femmes prenons plus de temps avec les patient·e·s - alors que prendre du temps ne devrait pas être une option. Et avec plus de temps, on fait forcément mieux les choses.
Rien que de demander le consentement de la personne qu'on ausculte, de lui donner le choix et d'expliquer les traitements proposés, c'est dans notre ADN. Pour beaucoup, nous avons cette philosophie du soin et du prendre soin. De remettre la patiente au coeur de sa prise en charge.
C. T. : Oui. Le coeur de la consultation, c'est la communication. Souvent, lors d'une consultation de sage-femme, la patiente aura ce temps dédié, où l'on va parler, où elle va parler. Et où on va écouter ses craintes, ses questions. Un temps qui rassure.
E. T. : Oui. Je pense que l'anonymat que permet Internet contribue à mettre sur la table les sujets qu'il était très difficile d'aborder publiquement avant et de diffuser beaucoup d'informations. C'est un mouvement profondément bienveillant. Alors oui, il y a les tendances à éviter, de bain de vapeur dans le vagin, une essentialisation aussi du cycle, ce qui crée des normes dont on pourrait se passer, mais la plupart du temps, les personnes qui s'emparent de ce sujet sont très sérieuses.
C. T. : Je suis d'accord et je suis très optimiste par rapport à ça. Je pense que les choses sont vraiment en train de changer.
Au bonheur des vulves : Le manuel anti-douleur qui en a entre les jambes, de Camille Tallet et Elise Thiébaut, ed. Leduc. 17 euros