Rien de neuf sous le soleil, malheureusement : dans les hautes sphères de la politique, le sexisme règne en maître. Dans ce milieu clos, saturé de testostérone et où les femmes font toujours figure d'exception (27% à l'Assemblée, 25% au Sénat), les abus et discriminations de genre sont devenus la norme.
Baupin, DSK, Tron et maintenant Baylet, accusé de violences sur une collaboratrice : les scandales s'enchaînent à l'Assemblée, minime aperçu de l'ampleur du fléau qui gangrène le palais Bourbon. Et à chaque fois, on bute sur cette amère constatation : tout le monde savait. Parce qu'en politique, le harcèlement est éhonté, puisqu'il se fait en toute impunité, protégé par le silence forcé de celles et ceux qui pourraient tout perdre. C'est pour en finir avec cela qu'un collectif de collaboratrices parlementaires a décidé d'ouvrir le site chaircollaboratrice.com, dont le titre nous fait rire jaune. Mathilde Julié-Viot, Charlotte Lestienne, Julie Rosenkranz et Charlotte Soulary, les quatre porte-paroles du collectif, qui travaillent pour des élus de gauche, ont choisi de briser l'omerta en documentant les abus quotidiens des politiques grâce aux témoignages anonymes de celles qui les subissent. Une démarche percutante qui nous fait l'effet d'une (très nécessaire) claque.
"Notre but n'est pas de pointer du doigt tel élu, ministre ou autre homme politique, mais d'exposer le caractère généralisé du sexisme en politique. A travers toutes ces anecdotes, il s'agit de faire connaître l'ampleur du phénomène, de dénoncer ces pratiques, mais également de les maîtriser, en prendre conscience, reprendre la main", expliquent les initiatrices du site dans une tribune pour Le Monde. Au nom du collectif, elles racontent le sexisme quotidien, devenu ordinaire, les humiliations, les propos graveleux, les regards insistants, les attouchements "involontaires", les sobriquets dégradants, et la "gauloiserie à la française" qui vire au cauchemar.
Comme les participantes à Chair collaboratrice le soulignent, ce sexisme omniprésent est une manière pour les hommes de rappeler aux femmes qu'elles ne sont pas à leur place dans ce "monde d'hommes". Elles sont systématiquement mal tolérées, prises à la légère ou traitées avec paternalisme. La politique, qui repose sur des rapports de force pour acquérir du pouvoir, est en fait un milieu particulièrement propice à ces humiliations et ce besoin de marquer sa supériorité. Les collaboratrices, qui travaillent avec les élus et les aident à traiter leurs dossiers, ont un statut particulièrement fragile face à ce genre de dépassements : elles sont amenées pour le travail à se retrouver longuement en tête à tête avec les élus, à faire des déplacements avec eux et à les retrouver tard le soir, alors que leurs contrats de travail ne leur autorise aucune marge de manoeuvre en cas de problème. Elles rompent la loi du silence pour en finir avec cette vulnérabilité, et nous projettent par leurs témoignages dans un monde où le sexisme est érigé en loi.
"Je suis rentrée chez moi après ma première journée de travail et j'ai demandé à mon mari : 'Dis-moi, tu penses que c'est normal qu'il m'ait fait un massage des épaules.. ?'.. J'ai tenu 5 mois", explique une femme qui a travaillé à l'Assemblée.
Une autre témoigne : "J'ai entendu une fois dans un ascenseur, un député qui disait à son collab: 'Oui mon autre collaboratrice elle est bien, pour une fille, elle écrit vraiment bien ! C'est vrai qu'on a moins l'habitude de voir ce genre de qualités chez une femme'".
Parfois, les élus se contentent de surnoms condescendants, "mes petites filles", mais parfois, ils tombent dans le vulgaire : l'une des participantes raconte qu'alors qu'elle discutait avec une collègue sur les marches du Sénat, un ancien ministre leur a lancé "Alors les petites garces, vous nous faites un spectacle de pom-pom girls?". Autre exemple : un élu a insisté pour qu'une femme l'accompagne à un rendez-vous professionnel, en lui disant : "Avec ta tenue d'été, toi, tu vas le mettre de bonne humeur !". Et c'est sans vous parler des nez dans les décolletés pendant les trajets en ascenseur. S'il y a de quoi être écoeuré par ces témoignages, on ne peut que se réjouir de cette très belle initiative, qui s'apparente à un véritable cri du coeur : contrairement à ce que dit le proverbe, c'est la parole, parfois, qui est d'or.