Culture
Petrouuchka, le super compte Insta qui célèbre les femmes des rues de Paris
Publié le 3 novembre 2021 à 17:57
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Sur son compte Instagram Petrouuchka, Laura fait le portrait des femmes qui ont donné leurs noms aux rues de Paris. Ce sont les "femmes de nos rues", trop méconnues et si inspirantes.
Petrouuchka, le super compte Instagram sur les "femmes de nos rues" Petrouuchka, le super compte Instagram sur les "femmes de nos rues"© Instagram
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"Qui sont les femmes de rues ? Jeanne d'Arc, Hélène Boucher, Elsa Triolet, Louise Michel, Maryse Bastié... Tu connais ces femmes ou du moins leur nom te dit quelque chose ? C'est parce qu'elles font partie des femmes dont le nom a été le plus donné à des rues en France". Des informations comme celle-ci, le compte Petrouuchka en regorge.

Sur Instagram, son instigatrice, Laura, dédie biographies, illustrations et informations diverses aux "femmes des rues" - celles de Paris. Elles sont femmes de lettres, scientifiques, artistes, aviatrices... Bien que minoritaires, elles sont intégrées à l'espace public - des rues portent leurs noms - et à l'histoire de notre pays. Mais qu'ont-elles au juste à nous raconter ?

A cela répond Laura, un post minutieux après l'autre. Des récits qu'on ne trouve guère dans les manuels scolaires ou les guides touristiques, et c'est bien dommage. Petrouuchka apparaît donc en leçon d'histoire, mais aussi en mouvement militant. C'est notamment la féminisation des rues qui fait office d'enjeu - loin d'être anecdotique - au gré de ces publications ludiques.

Sa créatrice nous en dit plus.

Terrafemina : D'où est née cette initiative ?

Laura : D'un constat : les femmes sont très présentes dans les rues de la capitale, et pourtant, on ne connaît pas leur histoire. J'ai souhaité les découvrir et je trouvais ça intéressant de relayer tout ça sur mon compte personnel, "Petrouuchka" (qui était mon nom de scène quand je faisais du théâtre d'improvisation). Ca comble un vide.

Si les noms de ces femmes se retrouvent sur les plaques de nos rues, c'est qu'elles ont été reconnues par l'Histoire, intégrées à la mémoire collective – contrairement hélas à bien d'autres femmes invisibilisées – mais rappeler leur récit n'en reste pas moins important.

D'autant plus qu'à Paris, leurs noms sont bien souvent attribués à des ruelles, des passages, des promenades, et non des avenues ou des grands boulevards - ce que l'on attribue davantage aux "grands hommes".

Instagram, qui fait notamment la part belle au street art, est-il un outil parfait pour redonner son sens militant à l'espace public ?

L : Instagram est un réseau qui a beaucoup contribué à ma culture féministe. Je pense à des comptes comme celui des Couilles sur la table, le podcast de la journaliste Victoire Tuaillon, celui de Marie Bongars (instigatrice du podcast Une sacrée paire d'ovaires), Masha Sexplique (qui parle féminisme et sexualité), ou encore Je suis une sorcière (le compte d'Alice Pfältzer sur les insultes sexistes)...

A l'origine, le choix d'Insta était spontané car il s'agissait de mon compte perso. Durant le confinement, je sortais dans Paris pour aller faire du bénévolat et je tombais sur ces "femmes de rue" au hasard. Puisque j'avais du temps, j'ai commencé à chercher des infos sur elles pour ma culture personnelle. Puis je me suis dit que ce serait sympa de partager tout ça.

Dans ces posts se retrouve à chaque fois une mini-biographie. Pour l'écrire, j'essaie de lire celles des artistes en question ou leurs livres (dans le cas d'autrices), je vais chercher le plus de sources possibles (biographies papier, ressources du net). Je me focalise sur l'essentiel des informations : naissance et mort, pourquoi connaît-on cette femme, quelle a été son enfance, comment a-t-elle terminé sa vie ?...

Et je dessine moi-même les portraits qui accompagnent les bios. On y trouve des éléments de l'endroit où se situe la rue concernée, des indications.

A travers ce compte, vous rappelez que la "féminisation" de l'espace public, des noms de rues notamment, représente un enjeu encore trop laborieux et complexe.

L : Oui, c'est compliqué. A Paris comme en France, à peine 6% des rues portent le nom d'une femme. Rajouter des rues au sein des villes est évidemment complexe. Paris, et les villes de France en général, ne peuvent pas s'agrandir indéfiniment. On donne donc à des femmes les noms de rues ou places "qui restent" – on coupe des places en deux, on envisage comme places des intersections de rues. Ce sont des espaces finalement très intimistes, parfois quasiment secrets.

On pourrait renommer les rues (c'est arrivé avec les rues portant le nom du Maréchal Pétain), mais cela provoquerait des soucis administratifs (puisque les habitants devraient changer leur adresse) et des critiques d'ordre d'idéologique, proches de questions actuelles et polémiques comme : "Faut-il déboulonner les statues ?". Des débats qui divisent toujours, ce qui explique en partie pourquoi maires et conseils municipaux sont si frileux.

Dommage : ce serait si bien de mettre en lumière des figures trop longtemps restées dans l'ombre ! Les statues parisiennes dédiées aux figures féminines historiques constituent également un autre enjeu. Déjà, il n'y en a pas tant que ça. A Paris, on trouve une quarantaine de statues à l'effigie de femmes (comme Dalida, Jeanne d'Arc, la femme de lettres féministe Marie Deraismes), contre 300 à la gloire des grands hommes.

Et se pose aussi la question de la représentation. On a tendance à représenter ces figures dans des positions très féminines voire même sensuelles. Un exemple éloquent reste George Sand dans le Jardin du Luxembourg : elle est représentée habillée d'une longue robe et cheveux détachés, dans une posture passive, alors que l'on sait très bien que George Sand n'avait pas forcément l'habitude des robes...

Par-delà l'histoire de ces femmes, il y a aussi celle des rues qui portent leurs noms. Un bon nombre datent du début des années 2000. Elles sont très récentes.

L : Avant la fin du 20e siècle, il y avait extrêmement peu sinon pas de "femmes de rues". Depuis a émergé une réelle volonté de la part des villes visant à mieux équilibrer cette représentation des genres, pour que les noms de rues n'émanent pas exclusivement d'hommes.

Les impulsions essentielles des associations féministes ont éveillé les consciences peu à peu : oui, les femmes doivent faire partie de l'espace public, et donner leurs noms à des rues compte dans ce processus. En France, on peut quand même citer une ville où quasiment toutes les rues portent des noms de femmes : la Ville Aux Dames en banlieue de Tours.

La majorité des centaines de voies répertoriées y portent des noms de femmes de rues sur décision du maire de la ville - une décision effective depuis 1974. Encore aujourd'hui, c'est une exception en France.

Le compte a-t-il donné envie à certain·e·s de faire leurs propres recherches ?

L : Complètement, on m'envoie des photos de plaques façon "J'ai retrouvé telle femme de rue !" et ça me donne envie de poursuivre l'initiative. Et de faire d'autant plus attention aux noms des rues parisiennes où je déambule.

Quelles femmes de rues vous ont plus marquée que d'autres ?

L : Je dirais Ada Lovelace, programmeuse et pionnière de l'informatique. Une voie porte son nom dans le 13 arrondissement de Paris.

Dans le rang des "premières de", je pense aussi à la journaliste Julie-Victoire Daubié qui est la première femme à avoir passé et obtenu le baccalauréat en France, au 19e siècle – la plupart des femmes n'ont été autorisées à le passer qu'au début du vingtième.

La rue Julie Daubié prend quant à elle place dans le quartier de la Gare du 13e arrondissement. L'histoire d'Eva Kotchever, juive polonaise émigrée aux Etats Unis, est également passionnante. Elle a ouvert un bar lesbien au début des années 20 à New York. Sa fin est tragique : elle a été déportée à Auschwitz et y est morte en 1943. Et il y en a tant d'autres !

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