Bien des choses s'expriment entre les phylactères. Une émotion visuelle bien sûr, mais aussi un discours, une irrévérence, une force d'évocation qui touche en plein coeur. Ce sont tous ces ingrédients qui s'entremêlent dans nos bandes dessinées préférées de l'été. Des histoires de femmes et de sorcières, de marginalités et d'enfances insolites, où s'enlacent humour féroce, tragédies intimes et parcours de vie inspirants.
Des BD tout à la fois ambitieuses et intimistes, du comic-strip le plus incisif au roman graphique aux allures de poème dessiné. Une certaine dimension militante s'y exprime en mots et en esquisses, d'une manière piquante et romanesque, drolatique, sensuelle et absurde - n'en jetez plus ! Des albums qui méritent largement d'investir nos bibliothèques donc, et plus encore nos tote bags cet été.
Petit panorama de ces essentiels du neuvième art.
La protagoniste de Pucelle passe son enfance hantée par les préceptes d'une éducation chrétienne diabolisant toute notion de la sexualité. De cette "chose" passée sous silence (d'autant plus quand elle se conjugue au féminin), elle imagine bien des images, forcément absurdes, puisqu'infantiles. D'un voyage - et d'un âge - à l'autre, la gamine devient ado curieuse, puis jeune femme maladroite. Peu à peu, elle ose s'aventurer du côté de l'interdit.
Les deux tomes de la saga de Florence Dupré La Tour détonnent par leur humour, assimilable à un jet d'acide. Cette peinture féroce des moeurs d'une certaine classe française (très privilégiée) tape là où ça fait mal, quitte à rendre son (anti) héroïne antipathique par instants. Mais l'ironie ravageuse qui ponctue cette fresque intime n'est qu'une façade pour aborder une foultitude de tabous, de la masturbation féminine à la sacralisation de la virginité, des injonctions à la maternité au sentiment de culpabilité inhérent aux premières menstruations.
Un vaste programme, bariolé et toujours juste.
Pucelle (deux tomes), par Florence Dupré La Tour
Editions Dargaud, 184 p.
Les éditions indépendantes de La ville brûle ont pour habitude de nous régaler dans le domaine des essais et des fictions (le premier roman Les règles du jeu, sur le sexisme dans le milieu des start-up et de la (fem)tech, nous avait par exemple beaucoup séduit). Mais la maison se démarque aussi par son éventail de bandes dessinées. On pense notamment au douloureux C'est comme ça que je disparais de Mirion Malle.
Dans ce même rayon, Résine est une nouvelle réussite. Bédé tout public, qui ravira à n'en pas douter une jeune audience, l'histoire d'Elodie Shanta relate les mésaventures ubuesques d'une jeune sorcière coulant des jours (plus ou moins) paisibles avec son compagnon - un jules pas très malin mais gentil comme tout. Mais comment donc cultiver la douceur de vivre quand la moindre parole vous condamne au bûcher ?
Insouciant, nonsensique et coloré, Résine est un arc-en-ciel pop investissant un imaginaire foisonnant (celui des sorcières), folklore populaire à l'intensité féministe bien réelle, pour en délivrer une version ouvertement comique, légère mais loin d'être anodine. On aime à penser que bien des petites filles érigeront ces Némésis du patriarcat en role-model après cette lecture savoureuse.
Résine, par Elodie Shanta
Editions La ville brûle, 88 p.
Voilà une autre belle petite trouvaille humoristique et intimiste, saluée par Pénélope Bagieu en personne (on a connu pire validation). Super-Sourde, c'est l'histoire de son autrice, Cece Bell, et plus précisément de son enfance, pas facile à vivre quand on est une gamine atteinte de surdité. Malgré un appareil auditif qui l'aide à éviter quiproquos et incompréhensions, la jeune fille étouffe quand le regard d'autrui sur son handicap se fait trop pesant. Cet appareil, elle en fait le pouvoir de son alias : Super-Sourde, la petite fille pas comme les autres.
Cette bande dessinée autobiographique, elle aussi, possède un super-pouvoir : sa justesse. Ne confondant jamais sensibilité et misérabilisme, Cece Bell s'émancipe de tout risque de pathos en valorisant l'authenticité. Authenticité du ton, des situations (normal, c'est du vécu) et des réactions de cette jeune héroïne que l'on finit par connaître par coeur. A la simplicité des dessins s'ajoute un humour charmant, oscillant volontiers vers l'absurde.
C'est tout un petit microcosme, ludique et sincère, qui se déploie sous nos yeux. L'écrin parfait pour assurer une forme d'inclusion au sein d'une littérature graphique pour enfants qui se doit de l'être - inclusive.
Super-Sourde, par Cece Bell
Editions Les Arènes BD, 290 p.
Si vous traînez sur Twitter ou Instagram, vous êtes certainement déjà tombée sur la série de comic-strips ravageurs des War and Peas, signée par Jonathan Junz & Elisabeth Pich. Dans la plus pure tradition du comic à l'anglo-saxonne, War and Peas cultive un humour acéré et concis (quelques cases seulement), un art de la chute explosif et une propension au nonsense décomplexée comme il faut. Ce qui est déjà pas mal.
Mais ce qui réjouit d'autant plus dans ce petit univers, ce sont ses personnages. Ce recueil en français du webcomic culte valorise ces figures hautes en couleurs : une sorcière qui n'a pas sa langue dans sa poche, un robot doué de sentiments, une scientifique aux punchlines qui claquent, un enfant fantôme aux mésaventures bien tristounes, ou encore un chien qui parle.
Des figures familières, enfantines, stéréotypées, traitées avec une dérision acidulée bien sentie. Exemple ? Entre deux tasses de thé brûlant, une mamie paisible décoche à son mari : "Au fait chéri, je dois t'avouer quelque chose : je suis une escort girl... et tu me dois un sacré paquet de fric". On en redemande.
Des sorcières et des hommes par Jonathan Junz & Elisabeth Pich
Editions First, 160 p.
Dans la catégorie exigeante des romans graphiques, ces pavés où le texte rivalise de place avec le dessin, et où les cases constituent une véritable fresque littéraire, George Sand : fille du siècle, a de quoi impressionner. Et pour cause, puisque c'est l'entière vie de la célèbre romancière révolutionnaire que Séverine Vidal et Kim Consigny mettent en mots et en images. L'élégance du trait, brossé en noir et blanc, cohabite avec un foisonnement de références biographiques, personnalités historiques et mentions littéraires.
George Sand y est effeuillée sous toutes ses coutures : jeune fille indignée et femmes de lettres impériale, amante libre et épouse meurtrie, Sand est comme l'équation de mille et une féminités, quêtant l'émancipation, l'aventure et le plaisir absolu - des mots comme des corps. D'où la dimension tour à tour factuelle, historique et sensuelle de ce récit ambitieux, où apparaissent au détour d'un chapitre Alfred de Musset et Frédéric Chopin.
Une leçon d'écriture et de dessin, mais aussi de féminisme.
George Sand : fille du siècle, par Séverine Vidal et Kim Consigny
Editions Delcourt, 335 p.
Comment dire toutes les pressions, craintes et incompréhensions qui ponctuent la vie des jeunes adolescents homosexuels ? Hugo est gay apporte à cette interrogation importante une réponse fluide en proposant un récit drôle et réaliste, accessible et authentique. Hugo, collégien comme les autres, y découvre son orientation sexuelle dans un climat scolaire et familial qui n'incite pas vraiment au coming out. Peu à peu, ce jeune homme amoureux de Tom Cruise va savourer un épanouissement que la société hétéronormée semble lui refuser.
Hugo est gay est une histoire du quotidien où règne la bienveillance. A la gravité des thématiques (le coming out, l'homophobie, le culte de la virilité) se superpose un traitement léger sans être insouciant, drôle sans être futile. Ado des années 90, Hugo y dialogue avec un ami du futur tout droit venu de 2021. Les choses ont-elles évolué en tant d'années ? Oui et non.
Mais quelque part, l'espoir palpite pour les personnes queer.
Hugo est gay : dans la peau d'un jeune homo, par Hugues Barthe
Editions La boîte à bulles, 103 p.