La relation que l'on entretient avec sa propre apparence est pavée de sentiments intenses, complexes et parfois, contradictoires. Entre volonté de s'aimer tel·le que l'on est, envie de s'affranchir de standards taillés pour une microscopique portion de la population, et matraquage quotidien d'images qui nous encouragent indirectement à regarder notre corps comme un ennemi, on ne sait plus ou donner de la tête. Et bien souvent, c'est notre confiance en soi qui part en miettes, accusant le coup d'une pression sociale chargée de diktats impossibles à suivre.
Quand vient la saison chaude, c'est encore pire. Car plus que jamais, dans les magazines, dans les campagnes marketing, le manque de représentations fidèles à la réalité se fait ressentir. Et les mêmes silhouettes longilignes, retouchées à l'extrême, comme les injonctions à mincir (qui n'ont pas disparu avec la crise du Covid), finissent de culpabiliser qui ne rentrerait pas dans ces rangs. A savoir, la majeure partie de celles et ceux qui se trouvent de l'autre côté de l'écran.
Un sondage pour YouGov datant de 2020 l'affirme même : 2 femmes sur 3 se déclarent complexées par une partie ou l'entièreté de leur corps. La preuve des ravages d'une industrie ultra-exclusive, qu'heureusement, nombreux·se·s s'attachent à faire bouger. Militant·e·s féministes, influenceur·se·s body positive, marques en quête de davantage de diversité... Ces dernières années, les initiatives qui se détachent des normes ont fleuri. Le mot d'ordre de ce mouvement émergent : prôner l'acceptation de soi. Un terme qui fédère tant il promet un lâcher-prise nécessaire, intérieurement comme extérieurement.
Mais parmi les acteurs et actrices de ce changement que l'on évoque moins, il y a aussi les naturistes. Des personnes qui n'auraient pas attendu 2020 pour célébrer toutes les silhouettes. Elles l'assurent d'ailleurs : c'est en laissant tomber ses vêtements qu'on réussira à se détacher du regard critique qu'on adresse trop aisément à ce qu'ils recouvrent. Et enfin, à s'aimer comme on est.
Alors, faut-il se mettre à nu pour mieux exister ? On a échangé avec une des adeptes de ce mode de vie qui a longtemps eu mauvaise presse, afin de découvrir pourquoi il serait en réalité véritable vecteur de body-positivité. Décryptage.
Les naturistes seraient plus satisfait·e·s de leur vie, c'est une étude qui le dit. A en croire Keon West, sociologue britannique et auteur de la publication en question (Naked and unashamed. Investigations and applications of the effects of naturist activities on body image, self-esteem, and life satisfaction, parue en 2017), c'est même sans appel. L'habitude de la nudité - la sienne comme celle des autres - impacterait directement et positivement l'estime et l'image de soi, et par conséquent, la qualité de notre vie et le sentiment qu'on lui associe.
Pour vivre heureux·se·s, vivons tout·e nu·e·s, semblent scander les résultats de ces recherches. Et ce n'est pas la Fédération française de naturisme (FFN) qui dira le contraire.
En mai dernier, l'organisation a lancé une exposition dédiée à "réconcilier les Françaises et les Français avec leur corps et leur nudité", pour les inviter à "en reprendre possession". Un projet photographique disponible en ligne, qui présente 20 personnes dans leur plus simple appareil, et souhaite en libérer tant d'autres.
"Le poids des diktats de la société sur le corps humain et notamment sur celui des femmes s'est accru au fil des années", constate la FFN. "Les injonctions de se conformer aux critères de beauté et de corpulence ne manquent pas... Des normes contraignantes, voire inatteignables, imposées par l'industrie de la mode, de la publicité et de la pornographie." Des normes qu'elle appelle à lever, comme le tabou autour du corps non vêtu, incitant à une nudité "saine et naturelle".
Fanny est l'une des modèles d'un jour à s'être prêtée à l'exercice devant l'objectif. Le naturisme, elle le pratique depuis l'enfance, en famille. Une coutume qui, elle l'admet, souffre d'idées reçues coriaces et néfastes. Pourtant, elle le garantit, ses détracteurs ont tout faux. "Le naturisme, c'est le respect des règles d'hygiène, de l'environnement, la reconnexion avec la nature, l'acceptation de soi, la tolérance, la simplicité", énumère l'adepte, qui martèle : "[Cela] n'a rien à voir avec la sexualité. Les naturistes ne sont ni voyeurs ni exhibitionnistes." Pour la bonne raison que "le naturiste ne regarde pas".
Elle rappelle d'ailleurs à qui l'aurait oublié : "Chacun naît nu", déplorant qu'aujourd'hui encore, "des parents cachent les yeux de leurs enfants en passant devant nos stands. Le naturisme n'est pas une honte mais une liberté." Et surtout, véhicule des vertus émancipatrices.
On demande à Fanny : que ressent-elle lorsqu'elle se déleste de ses vêtements ? La réponse parle d'elle-même : "Une sensation de bien-être, se débarrasser des petits tracas quotidiens. Quitter les barrières économiques, sociales, physiques. Ne faire qu'un avec son corps."
Elle poursuit, attaquant le fléau du body shaming, un "phénomène de société très important". Pour elle, il est essentiel de "changer les mentalités". "Chacun doit pouvoir montrer son corps comme il est, avec ses défauts, ses imperfections, ses qualités. Les cicatrices de l'âge, de la maladie, du handicap ne doivent plus être tabous. Chacun doit se sentir bien dans [sa peau] sans être montré du doigt pour ses différences. [Il faut] redonner de l'estime à nos corps dans leur différence, sans préjugés ni jugement".
Une bienveillance communicative, à lire d'autres témoignages. Celui d'Amélie, notamment, qui a confié dans les colonnes de Slate l'été dernier avoir trouvé en ce groupe un effet réparateur, voire une dynamique féministe : "Avant de me mettre nue, j'étais complexée par rapport à mon poids. La communauté naturiste m'a tout de suite accueillie. Je ne m'y suis jamais sentie jugée et ça m'a permis de faire la paix avec mon corps". Pareil pour Julien, qui l'associe auprès du média à une véritable "thérapie".
Autant de récits et d'arguments convaincants, qui pourraient donner aux novices l'envie de se lancer, en toute sérénité. Ou en tout cas, de porter un tout nouveau regard, indispensable, sur un "art de vivre", comme le décrit Fanny, qui n'a qu'une ambition : nous entendre dire "aimons-nous comme nous sommes". Inspirant.