Pouvoir travailler de chez soi, en pyjama, ou bien les pieds dans l'eau au bord d'une plage, avoir des horaires totalement flexibles pour mieux s'occuper de ses enfants, éviter les trajets et les transports en commun, être plus autonome... Le télétravail et l'immense liberté qu'il apporte ont de quoi faire fantasmer. Il offre des solutions idéales au défi auquel est confronté actuellement le monde de l'entreprise : augmenter la productivité et la créativité de ses employés sans sacrifier leur bien-être, à l'heure où la fatigue chronique et les burn-outs à la chaîne envahissent les open-spaces.
Encore une fois, Internet semble avoir jouer à la perfection son rôle d'agitateur social en bouleversant les codes traditionnels du monde du travail pour nous faciliter la vie. Sauf que tout ce qui brille n'est pas d'or, et le télétravail ne fait pas exception à la règle. Il est loin d'être aussi utopique que l'on se l'imagine. Petit zoom sur les travers de cette séduisante tendance.
En France, le télétravail reste encore mineur : selon les chiffres en 2014 de l'Anact (l'Agence Nationale pour l'amélioration des conditions de travail), seuls 12% des Français travailleraient de chez eux. Et si on est loin des 20 à 35% des pays anglo-saxons ou scandinaves, il est néanmoins évident que c'est une tendance qui monte (4% seulement en 1995).
Et pour cause : on n'en finit plus d'encenser les avantages du télétravail, pour l'entreprise comme pour le travailleur. Le plus gros bonus demeure tout de même l'incroyable flexibilité qu'il offre : pour les parents qui ont des enfants en bas âge ou les personnes en mauvaise condition physique, ça peut être une véritable délivrance. Cela permettrait de beaucoup mieux gérer l'équilibre vie privée/vie professionnelle, et donc d'être aussi plus heureux et épanoui en règle générale selon PacificStandard, qui qualifie aussi le télétravail de "futur du bureau".
De plus, on peut travailler à son rythme, dans son confort habituel, et en s'épargnant la perte de temps et d'énergie que représentent les trajets interminables ou les bavardages de nos collègues dans l'open-space... Combiné à la considérable baisse de notre niveau de stress et des interventions chronophages, cela se traduit par une productivité accrue des télétravailleurs, qui parviennent à être plus efficaces depuis leurs canapés que vissés à leurs ordinateurs de bureau, d'après l'étude menée par la start-up américaine TINYpulse auprès de 200 000 salariés, dont 509 qui travaillaient chez eux. Et c'est ce qui a incité le magazine Forbes à encenser le télétravail : "Les entreprises sont passées d'un monde où tous les employés s'assoient à côté mais ne partagent rien, à un monde où l'on ne se réunit pas dans un même bâtiment mais où l'on partage les mêmes valeurs et la même culture". Et pourtant, ce nouveau monde où tout repose -encore une fois- sur la virtualité présente de nombreux aspects inquiétants.
Les nuisances sonores, les difficultés de concentration, les interruptions incessantes, la pression sociale de nos pairs, le stress lié à notre efficacité et au respect des contraintes de temps et de moyens, les horaires fixes... Bien évidemment, travailler dans un bureau présente de nombreux désagréments. Mais ce n'est pas pour autant que tout est à jeter. A force de se concentrer sur la productivité des employés, on en oublie parfois de valoriser leur inventivité, leur créativité; et pourtant, c'est ce qui fait qu'un employé est brillant et valorise sa boîte.
Or, notre inventivité est stimulée par les chocs d'idées, les confrontations, les débats... Bref, les interactions en tout genre. Comme le rappelle Quartz, qui tire la sonnette d'alarme sur le sacro-saint télétravail, c'est en travaillant en équipe qu'on travaille le mieux car on est porté par l'émulation collective. Rassembler tous ses employés dans un même lieu, c'est aussi créer un "bassin de culture" positif, où les idées s'enrichissent parce qu'elles circulent. C'est cette dynamique dont est privé le télétravailleur qui, en étant moins stimulé intellectuellement et porté par une ambiance dynamique de bureau, va perdre en créativité et en audace. En 2013, la PDG de Yahoo!, Marissa Mayer avait banni le télétravail en expliquant : "Les gens sont plus productifs quand ils sont seuls, mais plus collaboratifs et innovants lorsqu'ils sont en équipe. Les meilleures idées viennent de la confrontation de deux idées évidentes ; elles viennent de la pluralité".
De plus, on ne peut que s'inquiéter d'un phénomène reposant sur l'évolution de la technologie et qui tend à sortir un individu de la société . Les progrès technologiques vont de paire avec une limitation progressive des interactions humaines et un isolement croissant : et même si la vie de bureau peut être pesante, il est fondamental pour un individu de réussir à trouver sa place dans un groupe. Sur le long terme, effacer le travail traditionnel pourrait menacer l'intégration sociale par le travail.
C'est l'éternelle histoire du serpent qui se mord la queue. Très ironiquement, la technologie censée nous libérer avec le télétravail des contraintes de notre vie professionnelle, est celle qui gangrène en réalité notre vie privée. D'après The Atlantic, qui a très justement titré son article sur le télétravail "Le coût secret des horaires flexibles", travailler chez soi conduit à gommer les frontières entre notre travail et notre vie personnelle.
En effet, les horaires fixes d'un bureau traditionnel limite la contagion entre ces deux sphères de nos vies. Le fait d'avoir des horaires flexibles permet une organisation différente de notre temps de travail : on peut avoir vite tendance à déborder, et à se retrouver à fairede longues et harassantes heures supplémentaires afin de finir une tâche qu'on aurait sans doute pu achever rapidement si on travaillait en temps limité.
Trop souvent, nos "horaires flexibles" finissent par devenir synonyme d'"horaires illimités", comme l'explique le site Quartz. On ne bénéficie plus d'une coupure nette : notre bureau est notre maison, on mange sur la table où l'on travaille, on consulte nos mails par réflexe en s'installant sur le canapé... Il n'y a plus de compartimentage, puisque l'espace personnel est envahi par le travail et son stress. D'un coup, c'est comme si vous étiez bloquée en permanence au boulot : bof, n'est-ce pas ?