Mains moites, palpitations cardiaques, troubles du sommeil : l'hypervigilance se traduit par de nombreux symptômes physiques qui témoignent d'un état psychologique vulnérable. Des sensations oppressantes, perturbantes et parfois même paralysantes, dont on peut avoir du mal à comprendre la source.
La plupart du temps, elles sont intrinsèquement liées un trouble de l'anxiété. Dans d'autres cas, l'origine de ce mal vient d'un traumatisme sévère. En résulte, pour l'un comme pour l'autre, une hypersensibilité qui met les sens en éveil jusqu'à l'épuisement.
"Le cerveau de ces personnes sur-analyse et sur-réagit à cet environnement et à ses supposées menaces. Elles anticipent donc un potentiel danger et leur sens restent toujours en alerte", explique le site spécialisé Psychologue.net. Un excès de prudence à surveiller.
Pour le psychologue clinicien Dr Joe Oliver, ces menaces sont d'ailleurs souvent purement fantasmées. "L'hypervigilance agit comme un détecteur de fumée, constamment en train de scanner les alentours pour détecter toute forme de [risque] potentiel, même quand cela est peu probable", décrit-il à Refinery29. Les effets qui en découlent, eux, sont en revanche bien réels.
Emma a 33 ans et vit à Londres. Elle se reconnaît parfaitement dans ces symptômes, et ce trouble qu'elle nous explique avoir depuis toujours, bien qu'elle n'ait pu le "diagnostiquer" et "comprendre ce qui se passait" que récemment. Depuis cela, elle estime être davantage consciente des phases que l'hypervigilance implique, et la façon dont cela influence son quotidien.
"Cela se manifeste de façon assez aléatoire, surtout quand je suis particulièrement stressée. Je deviens par exemple très sensible aux bruits, qui me font sursauter. La nuit, lorsque j'entends des sons forts provenant du trafic, je ressens un stress physique, une sorte de coup au coeur. Dans la rue également, je suis assez vigilante. Je pense toujours aux risques potentiels, comme si j'avais la voix de mes parents dans ma tête qui énuméraient ce qui allait tourner mal."
"Quand je suis dehors le soir, ça s'amplifie", poursuit-elle. "Je marche avec mes clés entre mes doigts, prête à dégainer s'il faut. Et d'autant plus avec ce qu'il se passe en ce moment (le meurtre de Sarah Everard, enlevée dans un parc de la capitale britannique, ndlr) - ce qui s'est toujours passé d'ailleurs, pour les femmes. Même sortir faire des courses à 19 heures quand il fait nuit, je suis sur la défensive".
Quand elle se retrouve chez elle, si le lieu est plus "sûr" par certains aspects, l'hypervigilance ne disparaît cependant pas. Elle prend une forme différente. Elle nous parle d'un "état de tension permanent" qui la pousse même à "paniquer" dès qu'elle discerne une sensation inhabituelle dans son corps. "J'ai du mal à voir ces éléments comme neutres ou normaux. J'ai du mal à rester calme."
Des "stimulis internes et externes" qui provoquent de l'inquiétude et un sentiment d'insécurité général. Et qui varient en fonction de son "état mental à ce moment-là", mais aussi de son cycle, estime-t-elle. Des "déclencheurs" que confirme l'infirmier psychiatrique Timothy J. Legg à Healthline, ajoutant également la peur de l'abandon, le sentiment d'être jugé·e, ou encore de se sentir enfermé·e.
Comme pour de nombreuses personnes dans le même cas, Emma n'a pas une peur fixe. Il s'agit davantage de craintes multiples, de scénarios hypothétiques de tout ce qui pourrait aller mal, "que tout pète", nous dit-elle, qui semble ressortir de l'état d'alerte qu'elle subit. Et qui prend racine dans un passé douloureux.
Dans son ouvrage The Lonely City, l'autrice américaine Olivia Laing étudie la solitude, et le fonctionnement de nos esprits après de longues périodes sans voir personne. Elle mentionne justement l'hypervigilance que l'une de ces parenthèses solitaires a provoquée chez elle. Aucun traumatisme à déclarer au cours de sa vie, mais des symptômes bien présents qui trahissaient un besoin de réadaptation aux interactions avec les autres.
"J'étais arrivée à un point où toutes mes perceptions et réactions sociales étaient constamment altérées par ma peur. Il y avait comme quelque chose en moi - disons une sorte de détecteur faussé - qui identifiait constamment un danger. Le moindre changement de ton dans la voix d'un interlocuteur me laissait entendre que j'étais potentiellement en danger." Une sur-analyse motivée par l'hypervigilance, et qui finit par l'alimenter, prévient le Dr Joe Oliver.
Les causes d'un tel phénomène sont nombreuses. D'abord, cela peut venir d'un trouble anxieux généralisé ou social, qui rend beaucoup plus conscient·e de ses actions lorsque l'on sort de sa zone de confort et forcément, que l'on est plus vulnérable. Comme Olivia Laing. Être l'un des symptômes de schizophrénie, aussi.
Et puis, l'hypervigilance est également associée au stress post-traumatique. Ce à quoi Emma nous confie davantage s'identifier. "Il y avait beaucoup de disputes, de la violence dans mon enfance, entre mes parents, avec mon père, mes frères. Je pense que c'est lié à ce traumatisme de répétition."
Des événements qui font que cet état d'hypervigilance est "un peu [son] état par défaut, de confort - même si c'est extrêmement inconfortable et que j'aimerais m'en sentir libérée. Ça vient du fait que j'étais dans un climat de tension, de colère, de peur. D'être persuadée que tout peut vriller d'un moment à l'autre. Et qu'il faut que mes actions, mes choix, tout soit concentré vers l'objectif que ça ne vrille pas, justement. Sur ce que je peux ou ne peux pas faire pour que tout aille bien, et ne pas rajouter de problème."
Aujourd'hui, elle réussit à atténuer cette sensation épuisante par le biais de quelques rituels, aussi recommandés par plusieurs expert·e·s dans les cas moins "graves".
"J'apprends à me 'battre', à boxer", nous raconte la jeune femme. "Je deviens meilleure chaque jour et ça me permet d'avoir plus confiance en ma capacité à me défendre". Un entraînement qui l'aide particulièrement dans la rue. Pour ce qui est de la maison, elle mise sur les exercices de respiration, la méditation. "Le fait de bouger tous les jours aussi : danser, bouger, courir, fait circuler l'énergie dans mon corps et influe sur mon mental."
Et puis, elle n'hésite pas à en parler. "Par moment, j'ai besoin d'être au calme. Mais si ces épisodes s'accompagnent d'angoisse, je préfère ne pas être seule. J'en parle à mon partenaire qui m'écoute, me permet d'exprimer ce que je ressens au fond de moi, de pleurer, de crier et de me sentir en sécurité. De 'prendre dans mes bras' la petite fille qui se cache en moi, de reconnaître son existence, de lui parler. De ne pas ignorer ce que je traverse".
Pour Timothy J. Legg, il peut aussi être judicieux de rechercher lentement les preuves objectives du danger avant de réagir, de se rappeler que les sentiments ne sont pas des faits, en reconnaissant ses peurs sans les laisser contrôler ses actions. Et puis, surtout, de se diriger vers un·e professionnel·le de santé.